Il peut sembler surprenant que Carline van Roos, véritable déesse du doom funéraire grâce à sa contribution spectrale à des formations telles que Lethian Dreams, Remembrance ou In Somnis, ait décidé pour ses escapades en solitaire d'aller promener sa voix vaporeuse dans les caveaux gothiques (dans le bon sens du terme) arpentés habituellement par Dark Sanctuary, Artesia et autre Dargaard. A première vue oui, mais à première vue seulement. Car ces deux chapelles partagent en réalité plus d'un lien. Le funeral-doom et la musique gothique dessinent chacun à leur manière des ambiances lancinantes et mortuaires, l'un en trempant ses pinceaux dans le métal, l'autre dans une plastique plus atmosphérique.
Né en 2006, Aythis est pour la jeune femme une façon de s'exprimer à travers une autre voix, loin du canevas musical de son principal port d'attache. Fi de grognements d'outre-tombe, de guitares saturés ici, mais uniquement le souffle fantomatique de Carline et des nappes de claviers figées dans le permafrost. Œuvre introspective et très personnelle, Glacia fait honneur à son nom. Chacune de ses chansons est une déambulation onirique à travers des paysages enneigés, images de contrées prisonnières de la glace faites d'arbres recouverts d'un manteaux blanc, de silhouettes avalées par le brouillard. Elles évoquent ces ports gris endormis par le froid.
Les respirations de Carline van Roos - elle est somptueuse tout du long - sont comme une vigie guidant les navires fendant des océans gelés. L'auditeur suit ses mélopées cristallines qui séduisent autant qu'elles pétrifient sur place. Quoi de mieux pour matérialiser le froid de l'hiver, métaphore de la mort en maraude, que cette expression funéraire et évanescente dans laquelle excelle la chanteuse.
De fait, Glacia possède la capacité rare de plonger tout ce qui l'entoure dans le blizzard. Mieux, rarement il nous aura été donné d'entendre une œuvre qui aura autant su capturer ces ambiances glaciales, ces visions corsetées dans une gangue de givre. Il est une porte sur l'hiver que l'on ouvre sans être sûr d'en retrouver ensuite la sortie. Drapées dans un linceul de notes de piano frissonnantes qui semblent sonner le glas ("Glacia"), ces six plaintes résonnent comme des veillées funèbres qu'aucune lumière, même pale, ne vient jamais caresser, à l'image des superbes et désespérés "Forget Me Not" et "Moonlit Path" qui sécrètent une tristesse éthérée et jamais vulgaire. La jeune femme trouve constamment le ton juste.
Aythis nous offre donc un des plus beaux joyaux que le genre nous ait donné depuis très longtemps. Loin du doom peut-être mais tellement beau et insaisissable...