Troisième album des Who, "The Who Sell Out" est aussi le premier concept album du groupe. Encore que le concept soit plutôt en forme de pied-de-nez. Ne cherchez pas une quelconque filiation entre les textes des différents titres. En fait, l'album rend hommage, en les pastichant, aux émissions des stations de radio-pirate offshore, rendues célèbres par le film "Good Morning England" inspiré de l'histoire de Radio Caroline. Cela explique la présence de toutes ces annonces et jingles (souvent empruntés à Radio London) qui viennent s'intercaler entre tous les titres de la face 1 du vinyle, le procédé étant moins systématique sur la face 2 (utilisé uniquement en début et fin de face sur le vinyle, avec l'ajout d'une coupure supplémentaire à mi-parcours sur la réédition CD).
Ce procédé, amusant à la base et certainement innovant en 1967, s'avère quarante ans plus tard rapidement lassant à l'écoute et dessert finalement l'album, chaque intermède musical se voyant gâché par un humour potache pas toujours du meilleur goût. Un humour qui se retrouve dans les chansons elles-mêmes puisque les Who n'hésitent pas à chanter le plus sérieusement du monde (ou presque) de véritables hymnes publicitaires à la gloire des haricots en sauce ('Heinz Baked Beans'), d'un déodorant ('Odorono'), d'une pommade pour la peau ('Medac') ou d'une voiture ('Jaguar', qui ne figure que parmi les titres bonus de l'édition remasterisée).
Mais il ne faut pas s'y tromper. Derrière la dérision, les qualités musicales des Who sont bien présentes, comme le rappellent la somptueuse ligne de basse et les chœurs satyriques d'Odorono' par exemple. Car une fois dépouillé de ses fantaisies publicitaires et jingleistiques, "The Who Sell Out" aligne des mélodies imparables qui font mouche instantanément et pas un seul titre de l'édition originale (sauf peut-être le trop parodique 'Heinz Baked Beans') ne fait preuve de la moindre faiblesse. La musique est dépouillée, la basse de John Entwistle y tenant le meilleur rôle, la guitare de Townsend se mettant en avant à l'occasion ('Mary Anne', 'Our Love Was', le très beau 'Sunrise'), la batterie de Keith Moon étant souvent sous-mixée, sauf sur l'énergique et célèbre 'I Can See For Miles', summum de la violence pour l'époque, ce qui laisse rêveur. Les parties vocales sont irréprochables, Daltrey, Townsend et Enwistle étant impériaux tant en lead singer que sur les chœurs. Même Keith Moon assure sur 'Armenia City In The Sky'.
Epoque oblige, bon nombre de titres fleurent bon le psychédélisme et sonnent souvent comme un certain Pink Floyd lorsque son leader s'appelait Syd Barrett : 'Armenia City In The Sky', 'Medac', petit frère du 'Effervescing Elephant' de Barrett, 'Sylas Stingy' qui ressemble comme deux gouttes d'eau à 'The Gnome', et bien d'autres titres vous replongeront dans une atmosphère décalée, entre rires et désespoir. A côté de ceux-ci, d'autres chansons annoncent la venue de "Tommy", soit par l'atmosphère qui s'en dégage ('Tattoo'), soit par la présence de thèmes qui seront repris dans l'opéra-rock ('Rael' qui se retrouvera dans 'Sparks' et 'Underture', 'Glow Girl', titre bonus qui donnera le jour à 'Sensation' et 'It's A Boy').
A propos des titres bonus, ceux-ci font partie de la longue série des rééditions marketing qui exhument des chansons dont la plupart aurait mieux fait de rester sous la couche de poussière où elles se trouvaient. A écouter par curiosité avant de les laisser retourner à l'oubli.
Musique indémodable, sincérité à fleur de peau, autodérision reflétant un réel problème existentiel, tout cela se retrouve pêle-mêle dans ce disque. Et même si les jingles et pubs parasitent un peu la qualité de l'écoute (d'où une note moins généreuse qu'elle aurait pu l'être), ce serait une erreur monumentale que de zapper trop vite cet excellent album.