"Inferno", quatrième album de Lacrimosa, marque un tournant dans l'histoire du groupe. D'abord, il ne s'agit plus du one-man project du seul Tilo Wolff. Lors de la tournée qui a suivi "Satura", celui-ci a en effet rencontré Anne Nurmi, chanteuse et claviériste du groupe Two Witches, qu'il débauche en lui demandant de continuer l'aventure au sein de Lacrimosa. Par ailleurs, Tilo s'entoure de ce qui va s'apparenter à un groupe dont le line-up se stabilisera au fil des albums à venir, et surtout utilise (enfin) les services d'un véritable batteur. L'influence de ces évolutions est sensible. Lacrimosa abandonne sa musique dont le tragique était un peu trop théâtral pour être réellement convaincant et ses rythmes répétitifs à en devenir lassants, au profit d'un Hard-Rock gothique et mélodique efficace.
Pourtant, le bien nommé 'Intro' reste encore dans le registre des albums précédents. Une cloche résonne sur des accords de grandes orgues avant l'entrée de chœurs féminins. Le titre fait mouche par sa majestueuse solennité et servira souvent d'introduction pour les futurs concerts. Avec 'Kabinett der Sinne', le ton change radicalement, la batterie agressive, les guitares et les claviers introduisant immédiatement un thème tout en puissance. Bien que le titre avoisine les dix minutes, il ne laisse place à aucun temps mort, alternant moments symphoniques et plus âpres avec une rare efficacité. Ce titre contient tout ce qui va faire le charme de Lacrimosa sur les disques à venir : un mélange savamment dosé de Hard-Rock, de classique et de gothique, passant de l'un à l'autre avec une extraordinaire facilité et une fluidité remarquable.
Lacrimosa excelle sur des formats mi-longs. Ainsi, "Inferno" contient-il pas moins de quatre mini-epics ('Kabinett der Sinne', 'No Blind Eyes Can See', 'Schakal', qui va vite devenir un titre phare du groupe, et le très classique 'Der Kelch des Lebens') qui tous captivent l'auditeur sans jamais faillir, alternant allègrement un lugubre solo de violoncelle et une envolée de guitare électrique, rappelant tantôt Uriah Heep, tantôt Mozart sans jamais paraitre incongru.
Côté chant, Tilo Wolff utilise toujours sa voix sépulcrale si caractéristique, s'impliquant plus qu'il ne l'a fait par le passé, heureuse initiative s'il en est car chaque fois qu'il s'en donne la peine, un agréable frisson vous parcourt l'échine. Anne Nurmi, outre ses participations aux titres interprétés par Tilo, chante en lead le seul titre en anglais ('No Blind Eyes Can See'). Sa voix assez aiguë est agréable, sans plus, mais offre un contraste saisissant avec celle de Tilo lorsque celui-ci lui donne la réplique d'un timbre digne du comte Dracula au fin fond de son château des Carpates à minuit bien sonné.
Un album au romantisme noir avéré, aux compositions très denses et d'une indéniable originalité. Lacrimosa fait partie de ces groupes que l'on adore ou que l'on rejette tant ils apposent sur leur musique un sceau caractéristique. Si la curiosité vous pousse à vouloir découvrir ce groupe, "Inferno" constitue une honorable entrée en matière.