Si "Stille" est le cinquième album du groupe allemand Lacrimosa, c'est surtout l'album de la maturité. Certes, son prédécesseur ("Inferno") avait déjà fait un bond qualitatif impressionnant par rapport aux trois premiers albums. Mais si "Inferno" permettait à Lacrimosa de passer du stade de chrysalide à celui de papillon, celui-ci avait encore les ailes légèrement engluées. Avec "Stille", le papillon prend son vol et dessine de précieuses arabesques.
Le style ne change pourtant pas vraiment depuis "Satura", mais Lacrimosa peaufine sa copie et s'améliore d'album en album, et la suite va prouver qu'il n'a pas encore atteint son apogée. On retrouve donc ce mélange savoureux de hard rock mélodique et de musique classique baroque, fortement inspirée du génial Mozart. Ce n'est probablement pas un hasard si le groupe emprunte son nom à l'un des plus beaux mouvements de la dernière œuvre du compositeur du XVIIIéme siècle, le célèbre "Requiem".
Par ailleurs et pour la première fois, Lacrimosa s'entoure d'un orchestre symphonique et de deux ensembles choraux, permettant de donner l'ampleur nécessaire aux passages les plus épiques de 'Der Erste Tag', 'Mein Zweites Herz' et 'Die Strasse der Zeit'. Mélange de la douceur des cordes et des chœurs liturgiques, et du déferlement des guitares électriques et de la batterie, déroulant des thèmes mélancoliques et romantiques mis en relief par l'entrée des instruments électriques, ces titres sont gorgés d'un lyrisme et d'une émotion poignante.
Les autres titres, entre hard-rock et métal mélodique, contiennent eux aussi pour la plupart ce souffle épique, entretenu par une alternance de moments énergiques ('Sichst Du Mich Im Licht ?', 'Make It End') et d'accalmie ('Not Every Pain Hurts').
Anne Nurmi interprète deux morceaux en anglais, le fantomatique 'Not Every Pain Hurts' et le moins réussi 'Make It End'. Tilo Wolff reste fidèle à sa langue natale. Sa voix lugubre et profonde donne le frisson dès qu'elle grimpe dans les aigus, ce qu'elle n'hésite plus à faire de plus en plus souvent. Comment résister à la mélancolie qui se dégage du piano/voix de 'Stolzes Herz', ou au poignant duo entre le chant déchiré et la trompette dramatique de 'Mein Zweites Herz' ?
La musique de Lacrimosa a le charme inquiétant d'un manoir victorien découvert au détour d'une promenade champêtre à la clarté déclinante d'un soir d'automne. On est à la fois intrigué, fasciné et vaguement mal à l'aise, prisonnier d'une atmosphère envoutante et irréelle. Parcourir l'univers insolite et vénéneux de ce groupe est une expérience à la fois atypique et passionnante.