Certains groupes s'imposent dès leur premier album, balisant le terrain de ce que sera leur style ou affirmant des personnalités musicales marquées, phares auprès desquels leurs admirateurs fascinés trouveront toujours un point de repère. Force est de constater avec le premier album des Who que cela n'est pas le cas d'un des groupes qui allait devenir un monument incontournable du paysage rock. Pourtant il serait aventureux de prétendre que le quatuor londonien ne possède pas en son sein de personnages aisément identifiables. Que ce soit la voix de Roger Daltrey, les talents de compositeur de Pete Townshend, la vélocité de John Entwistle à la basse et la fureur de Keith Moon à la batterie, chaque membre a apposé son sceau sur le long parchemin de l'histoire du rock. Mais en 1965, toutes ces belles qualités sont encore en gestation et rien, ou presque, ne permet à l'écoute de cet album de penser que le groupe connaitra un jour une renommée internationale.
Bien entendu, il n'est pas question d'oublier les aspects novateurs et inventifs de cette musique pour 1965, pas plus que les prouesses auxquelles musiciens et ingénieurs du son devaient se livrer pour compenser la pauvreté des moyens techniques de l'époque. Mais, si ceux qui sont suffisamment âgés pour avoir connu cette période remettront d'instinct cette musique dans son contexte, ce ne sera pas le cas de ceux qui souhaiteraient de nos jours se plonger dans la discographie des Who. En toute équité, il convient donc d'analyser "My Generation" avec des critères correspondant à 2011, et non avec les oreilles du cœur.
Le disque original comprenait 12 morceaux (jusqu'à l'instrumental 'The Ox' inclus) répartis entre rhythm'n'blues et pop/rock, auxquels la réédition remasterisée a ajouté les traditionnels bonus sur lesquels nous reviendrons. Le mixage est assez classique pour l'époque, mettant les voix très en avant au détriment des instruments. Seule épargnée, la batterie, ce qui permet d'apprécier la qualité du jeu de Keith Moon. Par contre guitares et basse sont en général discrètes et il est parfois difficile de les distinguer clairement. Le piano est quant à lui le parent pauvre alors que ses nombreuses et impressionnantes interventions méritaient mieux. Il n'est audible que lorsque ses notes aigues arrivent à percer au-dessus des autres instruments.
Les compositions sont assez inégales. Les trois reprises soul/gospel/blues (deux de James Brown, une de Bo Diddley) sont à la limite du supportable, Daltrey, visiblement mal à l'aise, semblant parodier les originaux. D'autres reprises étaient initialement prévues mais le manager de l'époque trouva le résultat tellement décevant qu'il somma Pete Townshend d'écrire des titres plus modernes. Les reprises figurant sur le CD bonus, de 'Bald Headed Woman' à 'Anytime You Want Me' attestent de cette heureuse initiative. Les compositions originales sonnent assez datées pour la plupart ('Out In The Street', 'It's True', 'Circles'), rappelant tantôt les Beatles, tantôt les Kinks, tantôt les Stones, sans être toutefois convaincantes.
Fort heureusement, certaines sortent du lot et préfigurent les orientations futures du groupe. On ne présente plus 'My Generation', son ping-pong entre Daltrey et les chœurs et son superbe solo de basse. Dans la même veine, 'The Kids Are Alright', 'A Legal Matter' et en bonus 'I Can't Explain' et 'Anyway, Anyhow, Anywhere' font résonner le rock auxquels les Who nous habitueront, mélodieux et punchy, avec une bonne dose de chœurs dont les voix haut perchées donnent une couleur ironique.
"My Generation" est un album qui a mal vieilli mais qui écrit néanmoins une page d'histoire du rock. Son écoute, agréable au demeurant, bon nombre de titres ayant une tonalité pop assez fraiche rappelant les années soixante, ne laisse cependant pas un souvenir impérissable, et vaut essentiellement par les cinq morceaux cités ci-dessus.