Tout commence avec un chant aussi sentencieux que caverneux, semblant venir de très loin, qui prononce des paroles en forme d'imprécations. Le rythme est étouffant, vicié, noir comme un gouffre sans fin. Une fois ce décor cryptique installé, le rituel peut débuter.
Certains albums sont plus que de la musique: il confine à une forme d'expérience sonore, voire même spirituelle. C'est le cas de Avadhuta Gita, première incantation de Kaula, mystérieuse entité italienne et vision de Pietro Riparbelli qui puise son inspiration dans le tantrisme et ses multiples textes dont le nom de cette offrande est extrait. Avec l'aide de trois autres êtres humains, dont une certaine Rosy, laquelle partage avec lui la sphère vocale, l'homme se chargeant des chants méditatifs, le maître des lieux forge un Black Metal qui s'affranchit des codes et des étiquettes, à la fois aussi lancinant que du Funeral Doom auquel il emprunte les atmosphères abyssales, aussi charbonneux que le Drone dont il reprend les riffs bourdonnants, et cent fois plus malsain que les phalanges démoniaques habituelles.
Difficilement descriptible, tant les mots paraissent incapables d'en capturer son essence divine, Avadhuta Gita se vit, se ressent plus qu'il ne s'écoute. Tandis que le chant dégueule un flot incompréhensible, guitare, batterie et orgue (mais sans basse !) empilent des strates, des couches sédimentaires dissonantes et extrêmement sombres. Les sept pans plus ou moins anonymes qui le subdivisent s'enchaînent les uns aux autres, se fondent, s'imbriquent, se pénètrent en une masse grouillante et opaque, aux contours flous. Chacun d'entre eux est une marche supplémentaire vers un absolu inquiétant et cauchemardesque, jusqu'au long râle final où la voix féminine qui nous a servi de guide tout ce temps, se meut en un murmure funeste encore plus perturbant et que soulignent des nappes liturgiques qui s'élèvent peu à peu. Tout l'album semble être toujours au bord de la rupture, gravitant le long d'une bouche béante et ténébreuse prête à avaler tout ce qui passe alentour.
Si beaucoup de groupes affirment à qui veut l'entendre que leur art se veut proche de la transe, peu nous convient en réalité à la cérémonie annoncée. Venu de nulle part, Kaula y parvient. Œuvre métaphysique, Avadhuta Gita a quelque chose d'un ovni aussi hallucinant qu'halluciné, labyrinthe obscur et hypnotique que l'on suit dans un état second et dont on attendra avec impatience et effroi le second segment pour s'y perdre encore un peu plus...