Avec un premier disque de la trempe de Tall Poppy Syndrome, Leprous ne pouvait pas rester inconnu très longtemps. Un des signes de la reconnaissance est cette signature sur le prestigieux label Inside Out qui éveilla les appétits des fans dès l’annonce de la sortie de Bilateral 18 mois après le premier choc des Norvégiens. Avec une musique aussi riche et créative les Scandinaves se sont installés d’emblée dans une position de moins en moins partagée par les groupes de métal progressif, avec pour conséquence la nécessité d’innover pour survivre.
Le premier titre, "Bilateral", vient prendre le relai de Tall Poppy Syndrome à l’endroit même où on l’avait laissé un an et demi auparavant. Une puissance brute, des chœurs bien maîtrisés, des sonorités étranges et une section rythmique envoutante. Sans vraiment créer un choc similaire à l’écoute du premier titre de Tall Poppy Syndrome, on entre dans Bilateral avec de belles espérances. Et ce n’est pas la pépite qui suit qui nous fera vaciller. En effet, "Forced Entry" n’est rien de moins que le meilleur morceau de l’album et certainement de la jeune carrière des Norvégiens. Tout y est : longueur caractéristique des compositions épiques sans complexité excessive, refrain en deux temps extrêmement mélodieux, cassures rythmiques et passages instrumentaux bien équilibrés. On retrouve dans ce titre un peu moins de folie que d’accoutumée mais quelques sonorités sont à chercher du côté de Haken ou Tool et apportent un vrai plus à la musique si personnelle des 'lépreux'.
Si ces deux morceaux ont pour eux d’être très rapidement appréciés, le reste de l’album donne plus de fil à retordre. Il faudra beaucoup d’écoutes pour ne pas juger trop rapidement les huit autres titres, à l’instar de "Mb.Indifferentia" qui démarre lentement comme une ballade pour progresser vers quelque chose de plus puissant. La tentation de crier à la simplicité est grande mais moins évidente une fois que les écoutes s’enchaînent. On préférera tout de même l’émotion véhiculée lors du génial "Acquired Taste" qui démontre l’importance du chant polymorphe d’Einar Solberg.
Au milieu de titres qui ont pourtant de réelles qualités, surgit un "Waste Of Air" dissonant, strident et dérangeant, qui hypnotise par ses rythmes tapageurs et ses claviers criards. Pas vraiment de cohérence dans ce titre qui reste atypique de ce Bilateral. Leprous semble marquer le pas dans une course effrénée vers toujours plus d’originalité, et la solution préconisée est d’agir par petites touches comme ce saxophone bien senti sur l’excellent "Thorn" (qui fait suite à quelques phrases bien torturées de Ihsahn) ou les riffs arabisants de "Cryptogenic Desires".
Condamné à innover certes, car c’est l’essence de ce créneau à la frange de l’avant-garde, mais Leprous, c’est aussi et surtout du métal progressif sans guitares supersoniques, avec un chant capable de balayer un spectre musical extrêmement large. Pour pouvoir se donner une marge de progression, Leprous agit avec parcimonie et ramasse dans ses morceaux moins de folie tonitruante, et c’est surement ce qui trouble le plus aux premières écoutes. Sans renier ses premières amours, Bilateral propose une musique moins ambitieuse et plus consensuelle, plus à même de toucher un large public.