Groupe inclassable par excellence, Iona ne déroge pas à la règle avec ce septième album studio qui aura mis un long moment à être finalisé. Depuis l'excellent "The Circling Hour", le groupe a connu un changement de personnel : le multi-instrumentiste Troy Donockley est parti, remplacé aux Uilleann pipes et aux flûtes irlandaises par Martin Nolan, qui maitrise lui aussi parfaitement ces instruments et compte d'ailleurs un album solo à son actif.
Avant la sortie de ce disque, Iona a recommencé à donner un peu plus de concerts. Il semble que Joanne Hogg, qui ne voulait plus tourner soit de nouveau plus active. Pour preuve, elle est très présente sur ce double album, tant au niveau du chant que des compositions dont la plupart sont chantées avec parfois seulement des vocalises, tout en laissant une bonne place aux parties instrumentales.
"Another Realm" s'ouvre et se termine avec deux courtes pièces atmosphériques. Dave Bainbridge enrobe la voix de textures de synthés vaporeuses souvent inédites et splendides et de quelques arpèges cristallins, un piano laisse couler des notes cristallines tandis que Phil Barker complète l'ensemble de quelques notes de basse fretless. Entre les deux, l'auditeur est invité à un voyage musical désormais familier à ceux qui connaissent les albums précédents du groupe.
Familier mais aussi terriblement varié – et qui comporte néanmoins quelques surprises. Avec le second titre, "The Ancient Wells", on retrouve un des styles désormais typiques de Iona : un morceau très entrainant et pourtant progressif, contenant des passages instrumentaux complexes et très fouillés. Comme sur "The Circling Hour", on peut constater que la section rythmique constituée de Frank van Essen et Phil Barker est mise plus en avant, puissante sans être envahissante. La guitare électrique de Dave Bainbridge est ici assez rock et les parties solistes très élaborées de la dernière partie sont doublées par la cornemuse comme cela arrivait avec Donockley, formant une combinaison toujours aussi originale. On retrouvera ce genre avec "Let Your Glory Fall" ou encore "And The Angels Dance".
Le morceau éponyme est lui aussi très dynamique et plutôt électrique (guitares électriques et acoustiques, plus le bouzouki sont souvent mélangés sur ce disque) mais plus concis, plus pop/rock et cette fois, c'est Frank van Essen qui colore également le morceau avec un violon électrique. Le premier CD recèle aussi deux pièces assez différentes mais qui résument tout le talent des musiciens. "Clouds" avec son intro subtile au piano, son développement celtique, symphonique et rock à la fois, où les synthés et de véritables violons orchestrent majestueusement le tout. Bien que signé par Joanne Hogg seule, le morceau recèle une structure complexe avec un bref passage acoustique et une partie instrumentale grandiose en forme d'hymne où Dave Bainbridge délivre un bref solo de guitare déchirant de beauté. Le morceau est enchainé au plat de résistance, l'énorme "An Atmosphere Of Miracles" qui rappelle au début la musique atmosphérique d'un Patrick O'Hearn, par exemple, avec ses textures de synthés éthérées et inédites (Bainbridge programme beaucoup de sons lui-même). Joanne chante des vocalises sur une orchestration somptueuse, dans un style folk, avec la flûte en support. Curieusement, le morceau est interrompu par quelques secondes de silence avant que ne démarre une seconde partie calme et chantée, où bouzouki, cornemuse, piano et guitare électrique se rajoutent aux synthés. La dernière partie introduite par les Uilleann Pipes semble encore très paisible mais va rapidement se transformer en une splendide conclusion chantée, lente et de plus en plus puissante, un hymne celtique et symphonique où explose un solo de guitare électrique court mais dont l'intensité et le lyrisme donnent le frisson, avant la descente vers un épilogue acoustique.
Une autre longue suite figure sur le deuxième CD : "White Horse" pourrait se décrire comme un morceau de rock progressif celtique, un titre épique au refrain lyrique, aisé à retenir, mais comportant des développements instrumentaux conséquent, paisibles, solennels ou plus rock. Bainbridge y délivre encore un de ses solos dont la technique rappelle les maitres du jazz-rock et dont le lyrisme et l'inspiration mélodique évoque plutôt David Gilmour.
Les pièces atmosphériques et les morceaux instrumentaux sont des formes que Iona a su développer avec souvent beaucoup d'originalité dès son premier album, que ce soit au sein de longues suites ou de pièces plus brèves. Le deuxième CD recèle trois instrumentaux tout à fait différents. Le premier "Ruach" est l'une des rares compositions de Frank van Essen avec Dave Bainbridge, une pièce calme à la mélodie d'une beauté exceptionnelle menée par le violon avec une orchestration superbe et presque classique. Le second, "Let The Waters Flow" aurait pu figurer sur un deuxième album solo de Bainbridge, une pièce de rock celtique rapide menée par la guitare électrique volubile secondée par la cornemuse tandis que "The Fearless Ones" est plus surprenant et plus ou moins expérimental, avec le son étrange des shofars (trompes constituées de cornes de bélier), sur un fond orchestral à la tonalité relativement moderne, avec des percussions et quelques vocalises.
Plus fréquentes que sur les deux précédents albums, il y a enfin des chansons, certaines très calmes, majoritairement acoustiques, comme "Speak To Me", ou "Foreign Soil" qui sonnent comme des prières, ou plus dynamiques entre folk et pop (avec une section rythmique pourtant bien présente), comme "And The Angels Dance" (6 minutes quand même !) ou situées entre les deux ("Saviour"). La voix de Joanne Hogg est toujours l'une des plus belles qui soient aujourd'hui, profondément chaude, d'une douceur émouvante et d'une justesse parfaite mais également dotée d'une puissance étonnante lorsque c'est nécessaire.
Au niveau des textes, l'inspiration souvent religieuse de Iona prend ici une tournure plus directe qu'à l'accoutumée, Joanne Hogg s'adressant parfois directement à Dieu ou célébrant sa gloire là où, auparavant, elle racontait plus souvent l'histoire de personnages et d'évènements importants de l'histoire de la chrétienté anglo-saxonne. Certains en seront peut-être ennuyés, encore que le message soit tellement sincère et positif que ce serait vraiment dommage. Le rock compte des textes beaucoup plus choquants ! Personnellement, même si certains morceaux sont de beaux poèmes, je regrette le côté plus subtil et historique qui surgissait sur des disques plus anciens.
On a souvent abusé des expressions "rock progressif " et "world music" mais avec ses nombreuses influences et ses titres vraiment très diversifiés, "Another Realm" correspond parfaitement aux deux, conjuguant par la même occasion esthétisme, technique et émotion tout au long de ce marathon musical qui s'apprécie de plus en plus au fil d'écoutes attentives. Indispensable.