Queensrÿche semble connaître un regain de productivité ces dernières années. Inutile cependant de rappeler que le groupe de Geoff Tate (on peut l'appeler comme ça maintenant) est bien éloigné de celui de ses quatre ou cinq premiers albums. Queensrÿche n'a jamais voulu regarder en arrière sur le plan musical (même "Operation Mindcrime II" n'avait guère de points communs avec son prestigieux prédécesseur). Evidemment, ceux qui préféraient un heavy metal contrasté, très mélodique, avec des aspects progressifs, une nuance grandiose et des éléments totalement étrangers au metal sont frustrés depuis des années… pour les éléments étrangers au metal cependant, l'auditeur est servi avec ce nouvel album, et finalement, c'est peut-être là que l'amateur à l'esprit ouvert trouvera davantage de satisfaction.
"Dedicated to chaos" existe en deux versions, mais sans aucun doute, c'est l'édition spéciale comportant quatre titres supplémentaires qu'il faut écouter car deux sont parmi les meilleurs du disque. Le groupe semble s'éloigner assez souvent des rivages du genre metal, même s'il en reste quand même plusieurs exemples. Mais il s'agit plus souvent d'un hard rock teinté des années 70 ou plus moderne, un peu grungy à l'occasion, avec des tempos moyens ou lents au rythme plus ou moins haché. Ce n'est pas nouveau chez le groupe qui a déjà proposé beaucoup de morceaux dans ce genre. Une bonne partie est simplement rock, voire inclassable. Mais un des atouts est la variété des ambiances et des arrangements, cette fois. On est loin de la monotonie d'un "Q2K" ou d'un "Tribe".
Les claviers ont refait un peu leur apparition, de même que les saxophones de Tate (qui joue deux ou trois solo). Par contre les soli brillants de Michael Wilton sont quasiment absents... Et il n'a encore une fois pas du tout contribué à l'écriture des morceaux, qui sont pour la plupart co-signés par Tate avec des membres extérieurs du groupe mais dont les noms sont familiers : le producteur et ex-guitariste Kelly Gray (qui a ici encore mixé l'album et joué quelques guitares), le producteur et ingénieur du son Jason Slater, qui a déjà co-signé la plus grande partie de "Operation Mindcrime II" en 2006 ou encore le nouveau venu, le claviériste Randy Gane (qui n'en est pas totalement un puisqu'il s'agit d'un vieux comparse de Tate). Scott Rockenfield et Eddie Jackson ont quand même apposé leur signature sur quelques rares morceaux, Rockenfield étant par ailleurs crédité pour les claviers. Ceux-ci reviennent encore un peu plus que sur le précédent album, sur une petite moitié des titres. Un des morceaux bonus, le touchant et sombre "Broken" est même basé uniquement sur un piano réverbéré et une orchestration de cordes synthétiques, avec un doigt de saxo. La section rythmique est proéminente et la basse ronde et quelque fois ronflante d'Eddie Jackson bien mise en valeur.
Au moins, dès "Get Started" qui s'apparente plus à un hard rock assez classique de la fin des années 70, avec un son de batterie plein et bien naturel, (comme sur la totalité de l'album), des guitares au son un peu caverneux, le groupe accouche-t-il déjà d'un bon refrain, raisonnablement accrocheur, toujours sur un tempo moyen, et plus linéaire que ce que le quatuor a fait trop souvent ces dernières années.
"Hot Spot Junkie" est plus lourd mais mélodique et les deux morceaux suivants allègent le propos. "Got It Bad" est plus rock que metal, empreint d'influences orientalisantes (avec un son de sitar) et "All Around The World" est une ballade bâtie en crescendo tout à fait réussie, avec un mélange de piano, de guitares acoustiques et électriques et une belle orchestration de synthés. "Higher" est quant à lui à la fois rock et légèrement jazzy, syncopé. Dans un genre assez proche, "Wot We Do", aux arrangements rehaussé de cuivres synthétiques alliés à un piano électronique, semble une fusion jazz/soul/rock un peu bancale qui serait mieux sur un disque solo de Tate, un Geoff Tate égal à lui-même, d'ailleurs. Finis les suraigus des années 80 et 90 mais notre homme garde à peu près le même style néanmoins, un chant de gorge serrée parfaitement contrôlé et juste. Sa voix est parfois très naturelle, parfois altérée par divers effets, douce ou puissante, sans avoir la clarté des jeunes années mais plus sensible. Elle est sans doute la marque de fabrique du groupe… Et l'un de ses atouts majeurs.
Ceux qui clament que Queensrÿche n'a plus rien de metal devraient quand même mieux écouter car des morceaux comme "Retail Therapy", "I Take You", "The Lie" ou le plus convenu "Drive" renouent plus ou moins avec le style lourd et haché (voire saccadé) des dix dernières années. "At the Edge" a beau être lui-aussi lourd et menaçant, ses couplets plus aérés, son refrain relativement accrocheur et sa partie centrale instrumentale en font un morceau très intéressant. Mais là encore, une ballade aux vocaux aériens telle que le bonus "Hard Times" me semble plus réussie. Pour en finir avec les bonus "I Believe" et ses rythmes un peu tribaux devient vite lassant par manque de mélodie mais "Luvnu" vaut le détour grâce à sa mélodie et son aspect orientalisant au centre, malgré un air de déjà entendu par instants.
Le disque finit en beauté avec le long "big noize", qui n'a rien de progressif (calmez vous !) mais se révèle assez remarquable avec son ambiance hypnotique, une lente glissade aux belles harmonies de guitares et aux vocaux aériens sur un rythme lancinant entre rêverie digne de Pink Floyd et hard rock, un peu comme "Middle of Hell" sur le précédent disque. Superbe.
Au final, cet album plutôt long (70 minutes pour l'édition spéciale) est relativement plaisant, pour peu que l'on veuille renoncer à la nostalgie des temps passés. La distanciation vis-à-vis du genre metal n'est pas un mal en soi, car c'est là finalement que le groupe semble le plus inspiré !