En 1974, BJH dispose de 5 albums studio dans son escarcelle. Pour se lancer à l’assaut d’un premier enregistrement live, c’est à la fois beaucoup et peu. Beaucoup, parce qu’en croisant les titres des différents opus, depuis 1970, et à raison d’au moins une demi-douzaine de compositions par album, il y a potentiellement de quoi alimenter un joli feu d’artifice musical. Peu, parce que finalement, abstraction faite de "Once Again" ayant imposé une certaine référence qualitative, les Britanniques n’ont pas encore fait leurs preuves de manière définitive. Le groupe a-t-il conscience qu’il s’agit à présent de passer à la vitesse supérieure, et d’affirmer au grand jour que sa musique revendique un rôle majeur dans la scène rock et progressive de l’époque ? Toujours est-il que notre fringant quartet va mitonner sa représentation scénique. Pour une première réalisation du genre, pas question de s’engager à reculons, et de jouer la prudence de la prestation-copie en couleur de playback. Certaines compositions du CV auraient mérité un peu plus de développement ? C’est l’occasion de les fourbir en leur redonnant de l’ampleur.
Du coup, nos Britanniques vont faire en sorte que ce premier mémoire scénique prenne la forme d’une main de velours dans un gant d’acier trempé. Le côté pile, abordé avec finesse, nous apparaît au travers de breaks vocaux pratiquement à cappella ('Medicine Man', ou 'Crazy City'), ou bien de moments où le chant et les instruments se mêlent avec beaucoup de sollicitude respective, comme pour préserver au mieux la naissance d’une fragile broderie musicale (l’introduction de 'The Great 1974 Mining Disaster', ou 'Galadriel', dont vocalises et mellotron forment une osmose religieusement mélancolique). Le côté face, quant à lui, n’hésite pas à saisir le spectateur par les deux oreilles, en lui signifiant très clairement que sa musique n’a rien de la chansonnette radio-standardisée, mais qu’elle s’enracine profondément dans le terreau du rock progressif. Comment ne pas citer les moments de bravoure, entre autres, portés par 'She Said' ou par 'Medicine Man' ? La version studio de ce dernier peinait à approcher les 4 minutes... Sur la scène, elle se transforme en plus de dix, martelant ses énormes sonorités, libérant les envolées envoûtantes qu’on lui connaît, et se dotant d’un panache instrumental qui dévoile littéralement le véritable mordant de la composition. Et quel son ! Pas grand-chose à lui reprocher, en restant sur les critères prog' de l’époque. Vibrant au rythme de mellotrons gutturaux, rauques et râpeux, mais véritablement expressif, chargé de ces multiples harmoniques émotionnelles que nos productions d’aujourd’hui ont bien du mal à exhaler. Le chant quant à lui s’élève avec clarté au dessus de cette épaisse sonorité, sans que l’harmonie générale ne soit perturbée.
Une instrumentation méthodique et méticuleusement productive dans la pluralité de ses composantes, un réel agrément progressif étayé par une très belle diversité d’ambiances, une application toute particulière sur le soin apporté aux vocalises, il est bien difficile, in fine, de trouver le défaut de la cuirasse. Les plus difficiles d’entre nous regretteront éventuellement la relative discrétion des chorus de guitares rock, en dehors des phrasés majoritaires de celles pleurant de toutes leurs cordes ('Paper Wings', endiablant la partition, comblera quelque peu cette semi-lacune), ou le temps de latence avant la captation des premiers émois du public (au bout d’une vingtaine de minutes, à la fin de la seconde plage). La galette se referme sur les incantations rock, mélancoliques et torturées de l’emblématique 'Mockingbird', peut-être un peu retenues en ce premier baptême du feu, car le morceau deviendra l’un des leitmotiv enflammés de BJH au cours des tournées futures.
En tout cas, la bataille est gagnée, et la machine scénique des Britanniques est désormais lancée. Le public ne s’y trompera pas : ce double live sera leur premier album à s'offrir un classement dans les charts de Grande-Bretagne. Si vous n’en disposez pas encore, c’est l’occasion rêvée de redécouvrir la verve épico-progressive de la formation.