Petite explication de texte : à l’entame de cette chronique de “From A to A”, le nom du groupe en cause -King Of Agogik - mérite en effet quelques éclaircissements. Selon Hans Jörg Schmitz, batteur et pivot central du groupe - et auto-proclamé King Of Agogik lui-même -, le King est celui qui a l’illusion d’avoir le pouvoir, et l’Agogik est l’art délibéré du changement de tempo. Dès son appellation, le groupe revendique ainsi la dérision mais aussi le très sérieux : le refus de se conformer à une monotonie rythmique, d’où une certaine difficulté d’accès. Nous voilà prévenus.
Ainsi, “From A To A” est un album hétérogène dans toutes les directions. Presque entièrement instrumental, il joue le plus souvent sur les contrastes entre les intros volontiers planantes, voire spatiales, et les rythmiques denses, voire lourdes, ainsi que sur la non-continuité rythmique (sauf dans les très courts ‘Capricorn’ et ‘Moonboys’). L’utilisation du mellotron ou de claviers approchants, très aériens par nature, s’oppose souvent à une rythmique assez simple, beaucoup plus terre à terre (la basse est d’ailleurs ici rarement mélodique / basiquement rythmique).
L’avant-gardisme revendiqué fait ici long feu : faute de réelle intention mélodique, la plupart des titres sombrent dans une confusion que le manque de subtilité des musiciens, qui jouent très appuyé, n’aide pas à éclaircir. Si par l’utilisation des claviers, l’ambiance peut faire penser à Angalgard, elle oublie toute poésie et toute délicatesse pour nous servir des lourdeurs peu digestes (‘Early Bird’ , ou ‘Bongen’, très moche). La palme de la pesanteur revient au jeu enclumesque d’Hans Jörg Schitz, qui n’hésite pas à se mettre constamment en avant (‘12 B.C.’) mais ne nous sert qu’une partition par trop voyante à défaut d’être réellement complexe ou adaptée aux morceaux : son entame sur ‘Bongen’ est un modèle de laideur et est totalement déconnectée du reste du titre, le morceau atmo-world ‘Personal Jungle’, plutôt bien entamé, est surchargé de roulements pas forcément à propos, etc.
Il est très difficile de trouver une unité logique à cet album, ce qui serait d’ailleurs incompatible avec la philosophie même du projet. L’auditeur est donc plongé dans un univers en mouvement, où éclateraient successivement des bulles de couleurs différentes, utilisant des clins d’œil vers les rythmiques metal, ou Mike Oldfield (‘Free Water’, ‘NOW’), voire Steve Hackett (‘To A’) et même la pop de la fin des 60’s (allusion à 'Popcorn' dans ‘From A’). Tout cela est forcément très inégal, souvent surprenant ('Tanks On High Street' évoque un jeu vidéo speed), mais sombrant parfois dans un snobisme confinant au ridicule (ah, les récitatifs en teuton suivis de vocalises soprano de ‘Blue Tears’ !).
Reste le cas de ‘From A...’, et son contrepoint ‘...To A’, les morceaux épiques de l’album. Si le début paraît se noyer dans l’hétéroclite, les séquences suivantes, où les compositeurs se résolvent à un peu plus de continuité, ont meilleure tenue, mais se télescopent curieusement : en sautant d’une idée à l’autre sans rapport évident entre elles, elles impriment malgré tout une ambiance surréaliste qui évoque irrésistiblement l’image d’une marionnette guidée par des mains fantasques, qui claudiquerait d’une manière imprévisible, mais intriguerait par son originalité. Il est toutefois difficile de trouver la patience de décrypter tout ce salmigondis qui paraît assez rébarbatif. Plus de subtilité dans l’interprétation ne serait pas inutile pour permettre à l’auditeur de s’insérer dans l’univers agogique ... Pour auditeurs avertis !