Plutôt à leur aventage dans le Doom ou le Hard Rock tendance seventies, les Italiens sont en revanche plus inégaux lorsqu'ils décident d'exalter les ténèbres. Ainsi, quand ils tentent l'option sympho et grand public, cela donne par exemple Graveworm, Cradle Of Filth du pauvre, au demeurant pas désagréable. En revanche, ils n'ont pas leur pareil pour peindre des atmosphères délicieusement lugubres et pour déambuler à l'intérieur de caveaux humides, une torche à la main. On pense alors à Tenebrae In Perpetuum ou dans un genre plus horrifique, Opera IX et donc Abhor.
Considérés comme des vétérans de la scène Black Metal transalpine, on avait laissé les musiciens grimés à la truelle en 2007 avec In Nostrum Maleficium et c'est donc avec un certain plaisir que l'on accueille aujourd'hui cette (déjà) cinquième offrande. Ab Luna Lucenti, Ab Noctua Protecti ne synthétise pas seulement la signature de ses auteurs, il résume à lui seul tout ce qu'on aime (ou pas) dans cet art noir à la Méditerranéenne de série B : des nappes de claviers envahissantes qui tapissent le sol de longues complaintes qui barbotent dans un occultisme de films d'épouvante, des ambiances sinistres évoquant des silhouettes fantômatiques errant dans des couloirs obscurs...
De là découle une musique où priment les atmosphères sur la brutalité. Abhor est passé maître dans le genre et les quatre années de silence séparant ses deux derniers opuscules lui ont été bénéfiques, comme en témoigne la très belle tenue de Ab Luna Lucenti.... Avec peu de moyens, c'est-à-dire quelques notes grêles échappées d'un orgue (le grandiose "Seven Magic"), des lignes de violons squelettiques ("Scent Of Sulphur") et une préférance pour les tempos lancinants qui épousent le rythme traînant de figures spectrales, les Italiens parviennent encore une fois à esquisser un univers nocturne saisissant, digne d'un château hanté, labyrinthe brumeux dont on suit le fil d'Ariane symbolisé par un chant de gargouille nous guidant vers des geôles funestes avant de nous noyer dans les douves saumâtres.
Luxuriant et cryptique, Ab Luna Lucenti, Ab Noctua Protecti distille une poésie sinistre à laquelle participent le recours à l'italien et au latin, ainsi que de parcimonieuses et lointaines mélopées féminines cepandant que ses compositions possèdent les contours et les traits flous des revenants égarés et ce, en dépit des guitares abrasives qui les irriguent aussi. A l'heure où Opera IX, toujours convalescent, ne s'est toujours pas remis du départ de sa chanteuse Cadaveria, il ne reste donc plus guère qu'Abhor pour défendre ce Black Metal plus horrique qu'orchestral demeuré figé dans le cimetière des années 90.