Comme beaucoup de guitaristes trentenaires Vigg a été bercé par les sextolets des grands noms de la guitare des années fastes, familièrement nommés les guitar heroes. Steve Vai, Joe Satriani, Eddy Van Halen, Ron Thal ou Nuno Bettencourt étaient, comme pour votre serviteur, des références incontournables quand on décidait de pratiquer la guitare électrique au milieu des années 90. Vigg est un jeune virtuose originaire de la région parisienne qui a exercé ses talents au sein d’un groupe de fusion, Señor Madcap, pendant six ans.
Comme beaucoup de musiciens de cette époque Vigg s’est rapidement tourné vers le progressif, notamment suédois, et son nom d’artiste Vigg, qui regroupe une partie de ses initiales, est aussi le mot pour dire canard en suédois ! Ce qu’il y a de remarquable avec cet artiste c’est qu’il synthétise le terme artisan à lui seul, car son album, Barren, est bel et bien l’œuvre d’un artisan.
Barren, qui veut dire aride, qualifie bien la teneur mélodique de l’ensemble. Car si Vigg est amateur de complexité musicale et instrumentale, ses compositions transpirent une certaine économie dans la volonté de trop en mettre. On a trop souvent entendu des premiers albums d’amateur, dans le sens laudatif du terme, qui débordaient d’idées mais aussi de cohérence. Barren est un disque fort de treize titres variés qui puisent autant dans le métal complexe et progressif ("Apparition"), que les ambiances orientales et slaves ("Bharat Railways" et "Utah Beach") ou encore l'électro ("Aythya Fuligula").
A la limite du post rock, les compositions de Vigg exploitent plusieurs idées par titre en se donnant le temps de les développer (l’album fait 53 minutes). Pour un premier album, ce guitariste a voulu rendre hommage aux groupes et musiciens qui ont nourri ses inspirations. Les riffs déstructurés de Ron Thal dans "Jura", la puissance d’Opeth dans "Barren" (qui synthétise toute l’énergie du final du morceau des suédois "Deliverance") ou l’approche mélodique de Vai et Satriani dans "Coma", montrent l’étendue des références musicales de Vigg.
On en vient aux quelques réserves concernant ce premier disque. Vigg s’attache énormément aux rendus des percussions et aux choix des textures de batterie dans Barren, peut être plus qu’aux interventions de guitare. Il arrive même à faire groover diablement bien des titres comme "Niña" ou "Catharsis Paradox" alors que la batterie est programmée. Même si on se doit d’être humble devant le travail de ce musicien qui a tout fait tout seul, jusqu’à l’enregistrement à domicile, on regrette la présence d’une vraie section rythmique qui aurait donner plus de corps à l’ensemble. Et comment ne pas regretter l’apport d’un chant death sur le titre très opethien "Fukushima" qui aurait peut être mieux exprimé toute la douleur et la colère qu’inspire un drame comme Fukushima qu’une simple instrumentale. Dans beaucoup de compositions la trame instrumentale est idéale pour créer de bons morceaux chantés ("Catharsis Paradox").
Barren est loin d’être parfait mais là n’est pas le plus important. Il incarne le travail solitaire d’un véritable artiste qui a fait sonner sa Vigier sans ambition d’écœurer l’auditeur de sa technique et avec la patience de l’artisan pour programmer chaque instrument (basse, violon, piano, trompette, sitar, chœurs…). Barren est un album authentique et généreux, l’expression d’une sensibilité et d’un travail de titan.