Après 5 albums studio étourdissants, une compilation, une anthologie gargantuesque de 8 CD ("Dreamscapes", parue en 1999, et agrémentée de 43 inédits, rien de moins !), quel continent reste-t-il à conquérir pour Alphaville ? Celui du projet live, bien sûr. Il ne s'agit pas tout à fait d'une première, car "Dreamscapes" contenait déjà un volet consacré à la scène, mais l'anthologie s'étant cantonnée à une édition limitée, ce versant musical était resté passablement méconnu du public. Il était temps en tout cas de songer à une œuvre dédiée, car même si la pratique scénique du groupe s’est révélée discrète et quelque peu saccadée jusque là (après un ou deux concerts au début des années 80, plus rien entre 1983 et 1993), la conclusion de la tournée mondiale de 1999 aurait mal digéré l’absence de réalisation discographique.
Si la réussite commerciale fit écho à celle de la tournée (notamment en Allemagne), on notera certains aléas qualitatifs que d’aucun pourront éventuellement voir comme des choix artistiques délibérés. Vous souvenez-vous de la question posée par nos photographes de quartiers, à l’époque où les photos ne connaissaient que le papier? Mat ou brillant ?… Le tirage sonore de "Stark…" est de nature mat. Sa texture reste extrêmement poncée, mais sans le vernis de la production studio. Tant mieux, après tout ; voilà qui justifiera l’intérêt de cette captation live, pour des créations que l’on croyait emmitouflées dans les velours satinés des années 80. 'Sounds Like A Melody' en ouverture, est immédiatement convaincant en son nouveau costume. Mais voilà, dans le même temps, on ne reconnaît presque plus la ligne vocale, qui semble avoir perdu l’essentiel de sa profondeur ! Petit coup d’œil incrédule au line-up… C’est pourtant bien Marian Gold qui tient la barre des vocalises, et il est d’ailleurs le seul rescapé de l’équipe originelle ! (La période Echolette et Lloyd, en fait, est sur le déclin). Le constat a donc de quoi surprendre, et si, pour vous rassurer, la mention passable est accordable à la prestation chantée, il est bien regrettable de voir le cheval de bataille d’Alphaville à ce point asphyxié pour cette occasion scénique.
Côté instrumental ? 'Sounds Like A Melody' est armé d’un nouveau final, perdant en charge symphonique ce qu’il gagne en musculature rock - mutation payante. 'Monkey In The Moon' s’habille de résonances électro joliment festives, qui réinventent la verve de l’original, sans la dénaturer. 'Wishful Thinking', quant à lui, voit son introduction dédoublée d’un fantastique élan techno-oriental, totalement inédit par rapport à sa mouture native; ce morceau déjà endiablé à la source est soudainement propulsé par une énergie surréaliste ! Sur un versant opposé, et c’est habile de la part de Marian Gold, 'Jerusalem' devient le chantre d’une rêverie aérienne, et cela fonctionne assez bien. Même sort étonnant pour 'Dance With Me' ! Mais Alphaville nous avait déjà démontré sa capacité à métamorphoser la substance émotionnelle de ses compositions, comme ce fut le cas par exemple avec les versions dance et slow de 'Forever Young'. A propos, justement ! Pas déplaisant, lui non plus. On s’attendrait presque à ce que son final de cuivre soit totalement troqué contre l’alternative des cordes électriques, mais en définitive, cette énième déclinaison hybridera les sonorités et les plaisirs…
Au rang des fausses notes, 'Big In Japan' qui se révèle bien mollasson; et la prestation vocale de Marian est totalement à côté de la plaque, sur ces élans musicaux impérieux qu’il aurait fallu porter au plus haut de l’affiche… Quant à l’introduction de 'Victory Of Love', c’est bien simple, on jurerait ici que notre chanteur se serait coincé un chat au fond de la gorge. Heureusement, le morceau s’achève aussi bien qu’il avait mal commencé, sur une rythmique et une ampleur symphonique dignes d’un bouquet final en transes euphoriques. C’est à la fois le pire et le meilleur moment de la galette !
En bref, la musique d’Alphaville n’est sans doute pas des plus à l’aise sur la scène. Mais, pour le fan, comment passer à côté de cette étape, pièce manquante du puzzle sur une épopée de plus de quinze années ? D’autant que la galette s’attache véritablement à ce que l’œuvre obtienne enfin sa dimension live.