On les croyait morts et enterrés depuis "It's Hard". Vingt-quatre ans plus tard, les Who, ou du moins ce qu'il en reste, renaissent de leurs cendres. Car John Entwistle est parti rejoindre Keith Moon au paradis des musiciens, rattrapé par la drogue. Les seuls survivants du combo originel sont donc Roger Daltrey, le chanteur, et Pete Townshend, le guitariste et surtout principal compositeur du groupe.
Après un début de carrière marqué par plusieurs albums décalés, utilisant volontiers l'humour noir et l'autodérision, suivi de l'âge d'or du groupe ponctué de deux opéras rock et d'un album contenant la quintessence de leur musique ("Who's Next"), le groupe s'était éteint petit à petit au travers d'albums de moins en moins intéressants, parodies bien pâles des productions d'antan. "It's Hard" avait signifié la fin (temporaire) des Who, laissant aux fans un goût d'inachevé. L'inespéré "Endless Wire" apparaît en 2006 comme une seconde chance de tirer sa révérence avec plus de panache.
L'album est clairement partagé en deux : une première partie constituée de titres hétéroclites sans lien entre eux, une deuxième faite d'un mini-opéra comme les Who en ont déjà réalisé par le passé sur "A Quick One".
L'introduction du premier titre 'Fragments' nous renvoie aux belles heures de "Who's Next" par sa mélodie au synthé rappelant celle de 'Baba O'Riley' à peine modifiée. Un clin d'œil un peu trop appuyé au passé car, même si la mélodie n'a ensuite plus rien à voir, les boucles de synthés en arrière-plan permanent remettent "Who's Next" en mémoire sans arrêt, au détriment d'un titre manquant un peu de punch. La suite est un joyeux fourre-tout alternant le bon et le moins bon : du folk (l'efficace et désabusé 'A Man In A Purple Dress', le Cat Stevens-like 'God Speaks Of Marty Robbins' ou le peu inspiré 'You Stand By Me'), du rock à la sauce Who ('Fragments', 'Mike Post Theme' qui nous replonge dans "Quadro phenia", le très classique 'Black Widow's Eyes' ou le rageur 'It's Not Enough') et les atypiques 'In The Ether', titre touchant que Pete Townshend interprète d'une voix charriant des glaires à la manière d'un Ray Charles, et 'Two Thousand Years', assez pitoyable chanson à boire.
Si ce disque était un vinyle, nul doute que cet ensemble hétéroclite serait la face A. La face B, elle, serait consacrée au mini-opéra 'Wire & Glass'. Celui-ci consiste en une suite de dix titres, la plupart très courts (un seul dépasse les quatre minutes !). On se prend à croire au miracle à l'écoute des quatre premiers titres : musclés, mélodiques, variés, avec toutes les qualités qui ont concouru au succès de "Tommy" et "Quadro phenia", leur seul véritable défaut est d'être trop courts. Le mollasson 'Endless Wire' et le déplacé 'Fragments Of Fragments', une reprise du premier titre, font un peu retomber la mayonnaise, mais le prophétique 'We Got A Hit' relance l'intérêt pour ne plus le perdre jusqu'à la fin de l'album. Pourtant, malgré la qualité indéniable de 'Wire & Glass', l'auditeur reste sur sa faim. L'œuvre est bien trop courte et laisse une impression d'inachevé. Pete Townshend était pourtant à deux doigts de faire renaître la magie de "Tommy" et "Quadro phenia". Un titre comme 'Mirror Door' par exemple renvoie directement au miroir de Tommy ('Go To The Mirror Boy') par son jeu de guitares, sa mélodie, l'interprétation de Daltrey. Avec le potentiel qui s'en dégage, il est dommage que les Who n'aient pas su ou pas voulu en faire un opéra grandeur réelle avec des titres d'une longueur raisonnable, des enchainements, une production adéquats et, pourquoi pas, un casting renforcé pour donner la réplique à Daltrey, Pete Townshend montrant quant à lui des faiblesses évidentes côté chant, entre fausseté et difficulté à tenir la note.
Si "Endless Wire" n'est pas un mauvais disque, ce n'est pas non plus le chant du cygne glorieux que l'on pouvait espérer. Les Who passent à deux doigts d'un retour très réussi mais en mélangeant un patchwork de styles et un mini-opéra, ils se perdent en chemin, les très bons moments étant trop souvent noyés au milieu de titres où l'on baille poliment. Un album qui manque de cohérence et où l'auditeur doit avoir la patience de faire son marché pour y découvrir les quelques pépites qui s'y cachent.