Voici l’album de la consécration pour Tears For Fears. Vivier de hits incontournables, il rencontre un succès immédiat, dans le monde entier. Ses rééditions successives ayant ravivé son éclat et prolongé sa carrière, les ventes avoisinent à ce jour les 12 millions d’exemplaires, toutes formes confondues… Rarement un projet n’aura été choyé à ce point, à la fois par le public et par ses créateurs. On ne compte plus les versions que ses singles auront connues, adaptés au fil des opportunités (et quand on parle des singles de "Songs From The Big Chair", on évoque une grosse moitié de la galette… ).
Pourtant, si la réussite commerciale dépassa toutes les espérances, la qualité de conception, par certains aspects en tout cas, se révèle très légèrement moindre que celle du premier album. "Songs From The Big Chair", dans sa mise en forme, est plus libre que "The Hurting", mais un peu moins cohérent également. Alors que ce dernier fit sans détour le choix de se draper d’un manteau de solennité ténébreuse, la nouvelle livrée de nos Britanniques préféra placer ses œufs dans plusieurs paniers différents; pas grand-chose à redire sur la sonorité (et même… rien du tout !), qui se révèle aussi profonde, ample et multicolore que celle de la première production. L’instrumentation est toujours aussi généreuse, témoignant d’une réelle volonté de rénover la musique pop du moment : l’artillerie new-wave est à l’honneur bien entendu (quel régal, cette houle limpide du clavier, introduisant 'Everybody Wants To Rule The World' !), mais ne prétend (presque) jamais à l’hégémonie, laissant respirer et s’épanouir la guitare, les cuivres, le piano, les chœurs…
C’est sur l’évocation émotionnelle que le projet choisira de diversifier ses visées, ou bien, si l’on préfère se ranger du côté de la critique, prendra le risque de disperser ses ressources. L’énorme 'Shout', inoubliable succès planétaire, ouvre la marche de son mid-tempo péremptoire et de ses vocalises sentencieuses, une prestation renversante de Roland Orzabal à faire pâlir les vocations oratoires les plus ambitieuses. Nous tenons ici le tube de la formation, dont très peu d’oreilles au monde pourraient prétendre ne pas avoir eu vent (peut-être les plus jeunes ?). Juste ensuite, le talentueux 'The Working Hour' révèlera progressivement son potentiel onirico-méditatif, très légèrement (et habilement) teinté d’atonie; mais de fait, il modifie déjà l’orientation de la narration, et les auditeurs les plus impatients trouveront que le morceau traîne quelque peu en longueur. 'Everybody Wants To Rule The World' détient certainement le nécessaire pour réconcilier tout le monde (un comble, avec un titre comme celui-là !), se targuant d’une mélodie aussi simple que superbe, et affichant sa lumineuse décontraction rythmique, tonale et vocale. Une réussite parmi les réussites, qui se risque, ici encore, à modifier l’éclairage émotionnel de l’album. 'Mothers Talk', autre succès mérité, emprunte différents virages narratifs sur une même trame rythmique, via des circonvolutions tantôt introspectives, tantôt accusatrices, avant de laisser la place à l'évanescente et planante mélancolie de 'I Believe'. Pour finir, le thème de 'Head Over Heels' sera astucieusement avancé (et dilué) au travers du clinquant 'Broken', puis intronisé par la plage suivante, à l’intitulé correspondant. Ici, l’album retourne sensiblement aux élans de 'Everybody Wants To Rule The World', en affirmant déjà un certain goût pour l’expressivité des hymnes scéniques, un goût confirmé par la parenthèse de 'Broken', en reprise live. Enfin, l’interminable conclusion de 'Listen', au ton léger et insouciant, dérobe un peu les honneurs du final à 'Head Over Heels', qui les méritait certainement davantage.
En fin de compte, "Songs From The Big Chair" est une succession de tubes rendant à la pop ses lettres de noblesses et se veut évidemment chaudement recommandé !