S'il y a bien un ensemble de musiciens qui mérite le titre de "groupe-culte", c'est bien The Enid, malgré les constants changements de personnel autour du fondateur et compositeur principal, le claviériste Robert John Godfrey. Le dernier véritable album en date datait de 1998, le très réussi "White Goddess". Celui-ci aurait pu se révéler un superbe chant du cygne car malgré diverses annonces sur Internet tendant à prouver que Godfrey était toujours actif et plein de projets, rien ne sortait plus… Jusqu'à l'apparition d'une nouvelle version du groupe, l'annonce de quelques concerts et la sortie de deux nouveaux CD, un de versions réarrangées de classiques du groupe et un autre de nouvelles compositions. Aujourd'hui, The Enid est en partie renouvelé. Autour du claviériste, on retrouve le batteur Dave Storey qui officiait dès le début du groupe en 1975 et au cours des années 80. Le chanteur Max Read n'est pas un nouveau venu non plus, puisqu'il était déjà un membre en 1998 mais plutôt comme bassiste/guitariste et il était même leur ingénieur du son depuis 1994.
Les nouveaux venus sur le CD sont deux "petits jeunes" : Jason Ducker aux guitares et Nick Willes à la basse et aux percussions. The Enid avait inauguré les années 80 en incluant du chant (assez parcimonieusement), rompant ainsi avec sa période 100% instrumentale des 5 années précédentes. Si "White Goddess" revenait à cette tradition (excepté pour un morceau caché) , "Journey's End" est quant à lui partiellement chanté et un peu de la même façon que dans les années 80 avec Stephen Stewart, c'est-à-dire avec des nombreuses lignes vocales superposées, des effets et l'utilisation occasionnelle d'un vocoder, donnant une texture lisse et pleine aux vocaux, quand ce n'est pas l'impression d'avoir un chœur énorme ! D'ailleurs les guitares de Jason Ducker rappellent fortement par leurs sons et leurs textures harmonisées le son de Brian May, un style déjà développé par ses prédécesseurs Francis Lickerish et Stephen Stewart.
Si les influences de Godfrey sont avant tout issues de la musique classique (Mahler, Wagner, Elgar, etc.), cet album n'est pas particulièrement classique dans sa tonalité, à l'exception de l'instrumental final, seul morceau signé du claviériste tout seul. Ducker et Read ont participé à l'écriture et il est étonnant de voir à quel point les compositions peuvent se rapprocher de l'album "Salomé" (1986) ou encore "The Seed & The Sower" (1988), à l'époque desquels ils ne faisaient pas partie du groupe (Ducker devait même être à peine né !). Difficile de décrire cette ambiance parfois légèrement exotique, avec pas mal de percussions sous –jacentes, en plus d'une batterie sobre et régulière comportant pourtant des éléments orchestraux.
Le premier morceau s'ouvre avec un crescendo de percussions traçant un rythme de marche joyeuse avant que les lignes vocales ne s'empilent les unes sur les autres, entourées de quelques séquences électroniques, puis enfin des guitares électriques et d'un mur de claviers symphoniques ! Tout est enchainé ici ou presque et "Terra Nova" ressemble plus à du Vangelis très calme, avec quelques échos des lignes vocales du précédent morceau, sur un fond de piano électronique cristallin et de nappes de cordes évanescentes. "Space surfing" est le titre le plus proche du rock, après son intro éthérée ; un thème chanté accrocheur sur un tempo moyen, une guitare plus acérée aux accents bluesy, mis à part pour un solo harmonisé à la façon de Brian May, des chœurs aussi complexes que ceux de Queen et ces claviers orchestraux qui donnent une toute autre nuance à l'ensemble !
Le reste est très proche de ce que le groupe a su produire de mieux dans les années 80, une fusion complètement unique entre orchestrations grandioses et mélancolie romantique influencées par le répertoire classique, rythmes exotiques, des vocaux qui se répondent pour ressembler parfois aux ensemble jazz des années 40-50, etc. Tout ceci semble bien disparate et pourtant Godfrey sait depuis longtemps en faire un tout cohérent mais surprenant ! C'est notamment le cas sur l'énorme suite "Malacandra", à moitié instrumentale et l'un des morceaux qui laissent le plus de place aux influences classiques. Celui-ci et "Shiva" passent par plusieurs phases, le second commençant dans une ambiance rêveuse traversée de chœurs féminins angéliques pour se poursuivre par une section rapide et dynamique qui évoque certaines musiques de films d'aventure anciens, alternant entre moments purement orchestraux et sections dynamiques, se terminant avec un chœur virtuel de plus de 60 voix !
C'est Robert John Godfrey qui a le mot de la fin avec l'instrumental "The Art of Melody - Journey's End", le seul titre signé par lui seul et qui semble entièrement arrangé aux claviers. Une merveille de symphonisme très délicat et paisible, définitivement romantique, le genre de musique que certains amateurs de rock peuvent détester et d'autres adorer…
Sans aucun doute, "Journey's End" est un album qui malgré sa durée assez limitée, prend du temps pour être pleinement apprécié et s'adresse aux plus éclectiques d'entre nous. C'est aussi un pur bijou au niveau des arrangements et de l'enregistrement lui-même. Un album particulièrement original et varié, qui mérite sans aucun doute une oreille impartiale et attentive.