Ceux qui regrettent encore que Reverend Bizarre ait mis fin à sa carrière en 2007 après trois albums officiels et une tripotée d'efforts annexes, pourront toujours se consoler avec Orne, obscur projet fondé en 1997, à peu près en même temps donc que la défunte entité, par son ancien guitariste, Peter Vicar, accompagné pour l'occasion par toute une troupe de musiciens, dont le batteur Jari Pohjonen et surtout le chanteur Albert Witchfinder, quand bien même celui-ci a toujours rechigné à être considéré comme un de ses membres à part entière.
Toutefois, la ressemblance avec le légendaire power trio finlandais s'arrête à cette question de ressources humaines, même si la patte Heavy Metal de Peter, sa façon d'assembler les diverses parties de compositions fleuves ainsi que la voix profonde de Sami, dans un registre où se lit clairement son admiration pour Jim Morrison (moins cependant qu'avec l'éphémère The Candles Burning Blue), tendent à dresser un pont entre les deux formations. Car il n'est point question ici de Doom Metal mais de Rock progressif antédiluvien, auquel Orne injecte une thématique occulte et lovecraftienne. King Crimson, Genesis ou Van der Graaf Generator constituent son socle musical doucereux, stratosphérique et velouté.
Par rapport à The Conjuration By the Fire, son (seul) prédécesseur publié en 2006, The Tree Of Life, annoncé de longue date car ébauché dès 2008, paraît de prime abord moins sombre, plus chatoyant peut-être mais à l'image de la peinture de John Roddam Spencer Stanhope qui lui sert d'écrin, l'oeuvre est écartelée entre lumière et obscurité, ce qu'illustrent bien les parties de guitares et de basse que Peter a captées durant de longues nuits hivernales (il suffit d'écouter ses lignes irriguant "The Temple Of The Worm" pour s'en convaincre).
De fait, The Tree Of Life vibre d'une noirceur souterraine, qui serpente tout du long de ces aplats magiques et quasi irréels. A première vue et passée une intro dont la première moitié narrative se meut en ondulations étranges, l'album pourra donner l'impression de n'être qu'un hommage supplémentaire à une musique dont on ne compte plus désormais les musiciens se réclamant d'elle, alors qu'il est en réalité bien plus que cela. Orgues, guitares délicatement émotionnelles et flûte balisent certes une architecture s'abreuvant aux sources du Rock progressif mais que Orne drape d'une enveloppe Dark et mystérieuse faisant du projet l'évident troisième côté d'un triangle mythologique composé de Reverend Bizarre et de Lord Vicar.
Chaque titre est comme un long périple dont l'apparente (et fausse) quiétude ne masque pas le canevas tortueux, regorgeant de richesses qu'une chronique ne suffira jamais à résumer. Des ambiances réveuses au chant habité de Witchfinder, des guitares mélancoliques qui s'élèvent parfois très haut vers des sphères célestes ("The Return Of The Sorcerer") à la rythmique discrète mais toujours essentielle, il y a tellement à dire qu'il semble préférable de ne justement pas trop en dire afin de ne pas trop déflorer une oeuvre foisonnante fruit d'une conception s'étirant sur plusieurs années. Et quand le fantôme de Reverend Bizarre surgit lors de la dernière partie de "Beloved Dead", c'est le pandémonium orgiaque pour tous les inconsolables Doomeux.
Différent mais complémentaire de son prédécesseur, cette seconde offrande, par sa lumineuse qualité ne nous fait regretter qu'une seule chose : que Orne soit plus un laboratoire permettant à son principal géniteur d'assouvir sa soif progressive qu'un véritable groupe à part entière. Le projet porte en lui suffisamment de potentiel pour mériter ce statut...