Three Monks est un nouveau groupe italien constitué de musiciens aguerris et dont le moins qu'on puisse dire de leur musique est qu'elle est originale. Nos trois moines sont en fait quatre, comme les mousquetaires : Paolo "Julius" Lazzeri, l'âme du groupe, compositeur et organiste, Maurizio "Bozorius" Bozzi à la basse, et Roberto "Placidus" Bichi ou Claudio "Ursinius" Cuseri officiant alternativement à la batterie.
Un trio constitué d'un organiste, d'un bassiste et d'un batteur ? Ne serions-nous pas en présence d'un remake d'Emerson, Lake & Palmer ? Pas vraiment. Certes, comme ELP, Three Monks ne peut renier les atours classiques dont il pare sa musique. De même, cette combinaison orgue – basse – batterie renvoie intuitivement aux beaux jours du trio britannique. Mais la comparaison s'arrête là. D'abord parce que les transalpins n'ont pas cru bon de se doter d'un chanteur. Ensuite, parce que là où ELP faisait de fréquents emprunts au répertoire classique qu'il réinterprétait à sa convenance, Three Monks compose dans un style classique sans revisiter des thèmes écrits par d'autres. Enfin parce que là où Keith Emerson jouait de toutes sortes d'instruments à claviers, Paolo Lazzeri joue exclusivement des grandes orgues.
Ce parti-pris instrumental pèse de tout son poids sur "Neogothic Progressive Toccatas", que ce soit dans le titre même de l'album, dans les sources d'inspiration des différents morceaux (la reconstruction de Magdeburg et de son orgue, la célébration des grandes orgues de la cathédrale de Merseburg, un hommage au facteur de l'orgue de la basilique de Waldsassen ou à l'organiste-compositeur Anton Bruckner) et, bien sûr, dans la texture même de la musique.
Car la sonorité si caractéristique des grandes orgues induit le style des compositions. Difficile de donner dans le minimalisme avec un tel instrument et rares sont les passages de recueillement dans cet album. Au contraire, on lui associe aisément l'idée de faste, de grandeur, de solennité ou de majesté, de puissance et de démesure aussi. Et telle est bien globalement la musique délivrée par Three Monks : ample, imposante, parfois écrasante. En tout état de cause, loin de respirer la joie de vivre. Pourtant, les orgues de nos églises et cathédrales savent célébrer des moments de liesse, témoins de célébrations nuptiales par exemple. Mais "Neogothic Progressive Toccatas" ressemble plutôt à une suite de requiem ou d'hymnes propres à accompagner jugement divin et colère céleste. Les thèmes sont d'une gravité sombre et évocatrice : des nuages très noirs s'amoncèlent au-dessus de nos têtes, et la mort, une mort tragique, rôde.
L'album est un tout homogène qu'il faut aborder avec la disposition d'esprit propice à l'acceptation d'une telle musique. La sincérité et la virtuosité des musiciens ne font pas de doute. Les compositions sont originales et contemporaines, et leur ressemblance avec l'œuvre des grands organistes, Jean-Sébastien Bach en tête, tient plus une fois encore à la sonorité des orgues qu'aux compositions elles-mêmes. La qualité est intrinsèquement présente. Il serait hasardeux d'en déduire qu'elle procure un plaisir équivalent. Cette musique est trop particulière, trop connotée, pour plaire à tout le monde. There's a time and a place comme disaient ELP. Le plus simple est que vous jugiez de vous-même si vous êtes fait pour cette musique en écoutant le titre proposé en streaming.