Troisième album dans la discographie du groupe, "Benefit" se trouve coincé entre l'album de la révélation, "Stand Up", avec son incontournable tube, 'Bourée', et ce qui reste à ce jour comme l'album de référence de Jethro Tull, le très réussi "Aqualung". Pas facile d'exister entre ces deux monuments même si, au moment de sa conception, Jethro Tull ne pouvait pas avoir idée du retentissement sur sa carrière de l'album suivant.
Si le groupe conserve le line-up de "Stand Up", il s'adjoint un cinquième membre en la personne de John Evan pour tenir les claviers. En effet Ian Anderson souhaite décharger Martin Barre des accompagnements tenant lieu d'habillage aux morceaux pour qu'il concentre ses efforts sur les riffs et les solos de guitare. De ce fait, John Evan se retrouve le plus souvent cantonné aux fonds sonores et les claviers sont rarement à l'honneur sur "Benefit", seul 'Alive And Well And Living In' permettant d'entendre le piano en premier plan. La part du lion revient aux guitares, électriques et acoustiques, qui monopolisent l'espace sonore sur la quasi-totalité des titres : en solo, en duo, en couches superposées, elles donnent à l'album un tour plus heavy, les tendances folk étant remisées avec les solos de flûte. Car l'instrument emblématique de Jethro Tull, celui que Ian Anderson a su imposer à une production réticente, est beaucoup moins présent que sur "Stand Up". Certes les premières notes de l'album sont pour la flûte traversière, mais celle-ci reste très discrète, notamment durant la première moitié de l'album où ses interventions sont utilisées avec parcimonie.
Les compositions ont quant à elles totalement abandonné le blues des débuts, Anderson se donnant même la peine d'expliquer que cette page est définitivement tournée dans son agressif pamphlet 'Play In Time'. Elles s'orientent dorénavant vers un rock qu'il est bien malaisé de définir tant les chansons se permettent régulièrement de petites escapades qui les singularisent des standards. Sans les apparenter au rock progressif, elles ne sont pas de simples titres rock, ni folk, ni variété internationale, ni hard-rock. Un peu apatrides, à mi-chemin entre plusieurs styles, avec ce chant caractéristique aux constantes intonations méprisantes ou moqueuses, d'une complexité accessible ou d'une facilité sophistiquée.
L'originalité n'est cependant pas obligatoirement gage de réussite. Certains titres contiennent des prémices d'"Aqualung", comme 'With You There To Help Me', 'Nothing To Say' ou 'To Cry You A Song'. Ce sont ceux qui sont le plus digne d'intérêt. D'autres ont leur propre personnalité, comme le doux 'Sossity, You're A Woman', au style guitare autour d'un feu de bois, ou son contraire, l'agressif et heurté 'Play In Time', qui sait utiliser à bon escient les distorsions des guitares. Mais certains morceaux déçoivent et nuisent à la dynamique de l'album. 'Son' et 'For Michael Collins, Jeffrey And Me' déroutent par des pauses, des changements de rythmes semblant improvisés tellement ils sont mal construits, des sons sales et un manque de dynamisme évident. 'Inside', affligé d'un son très étouffé, semble issu d'un autre album, tant il se trouve en décalage d'un point de vue mélodie, composition, interprétation et instrumentation.
Ces écarts qualitatifs parfois importants, que ce soit dans la composition ou dans la production, font de "Benefit" un album en dents de scie à l'intérêt inégal. Jethro Tull s'est trouvé une identité, mais la créativité de Ian Anderson l'entraine parfois sur des chemins de traverse qu'il aurait dû savoir éviter.