Déformation d'une image à l'aide d'un système optique, l'anamorphose ne saurait mieux définir la musique élaborée, explorée, par Le Maschere Di Clara, trio avantgardiste italien (de Vérone, pour être précis) et dernière découverte de la tête chercheuse Black Widow. Que le groupe cite, pèle-mêle aussi bien King Crimson, Jean sébastien Bach, Mike Patton, Sleep ou John Cage n'étonne pas vraiment à l'écoute de Anamorfosi opuscule à la courbe déglinguée, qui ne file jamais droit.
Chant, basse, batterie, violon et piano forment le socle de compositions aussi labyrintiques que schizophréniques. Le fait que la sacro sainte guitare soit remplacée par un instrument tel que le violon détermine à la fois les modelés dissonants et fuyants qu'épouse ce rock progressif transgénique et une comparaison évidente avec le Roi Cramoisi période Larks' Tongues In Aspic/Red. Il suffit de poser une oreille sur certains passages de "L'Essenza" pour prendre la mesure de cette influence, cependant que les lignes de basse tout en rondeur de "Piombo" pourront évoquer quant à elles le spectre de The Power To Believe.
A la confluence du rock évolutif, du jazz et de la musique classique expérimentale, Le Maschere Di Clara offre un véritable happening sonore, où l'on sent bien que tout peut arriver ou surgir au détour d'un accord maladif. Le recours à la langue nationale est rafraichissant mais contribue d'une certaine manière à accentuer l'étrangeté d'un album extrêment dense qui, en dépit de ses arabesques teintées de bizarreries, parvient toujours à maintenir l'intêret et à ne jamais perdre l'auditeur en route. La tristesse qui suinte de ce violon désaccordé procède d'un pouvoir d'envoûtement incontestable.
Reposant sur un substrat ramassé, caractère que seul "Sonata In Re Minore" du haut de ses presque huit minutes au compteur, fait mentir, mais de la plus tragique des manières, montée en puissance frénétique belle à en pleurer, ces morceaux ont tous quelque chose d'explorations que ronge une folie rampante qui dès l'instrumental "23.23" gratte à la porte de cet opus aux allures d'ovni. Mais il y a toujours cette émotion tapie dans le chant de Lorenzo Massoto (basse et piano) et dans les zigzagues tricotés par les quatre cordes frottées par Laura Masotto, à l'image de "Habanera", périple cisaillé par de muliples p(l)ans et ambiances.
On suit le chemin tortueux tracé par Anamorfosi tout d'abord avec curiosité avant de se laisser finalement séduire par ses entrelacs obsédants mais dont la puissance émotionnelle l'emporte sur le délire tarabiscoté. Et s'il faut être ouvert d'esprit pour l'apprécier, gageons que Le Maschere Di Clara devrait s'imposer très vite tant son talent ne fait déjà aucun doute.