Depuis quelques années Dream Theater semblait s’enliser tout doucement dans les sables mouvants du métal progressif en raison d’albums ni bons ni mauvais mais que l’on se surprenait simplement à ne pas écouter (excepté peut-être le dernier qui marquait un certain regain d'inspiration). Mike Portnoy, sans doute lassé par 20 ans du cycle album – tournée – dodo décidait alors de faire un break. Las, ses coéquipiers ne l’entendirent pas de la même oreille et décidèrent de continuer sans lui.
S’ensuivit un feuilleton qu’il est inutile de rappeler ici et qui se conclut par l’arrivé de Mike Mangini, ex batteur de Steve Vai, Extreme, mais surtout présent sur tous les efforts solo de James LaBrie. Peut-être pour conjurer le sort, le groupe sort rapidement après ces évènements qui auraient pu être traumatisants, son onzième CD, d’où peut-être, le titre de l’album..." A Dramatic Turn Of Events".
À première écoute, et malgré tout le respect, voire la sympathie que l’on accorde au batteur co-fondateur, il semble bien que cet électrochoc soit salutaire pour les fans de la première heure. Première constatation et peut-être conséquence de ce départ, la tournure métallo-thrash à l’américaine prise par les derniers opus s’atténue sérieusement. Au contraire, les titres sont plus classiquement progressifs dans leur construction, en alternant les rythmes, les accroches mélodiques et les démonstrations techniques, sans que celles-ci ne gavent l’auditeur. Quatre titres dépassent allègrement les 10 minutes et réussissent la gageure de ne point lasser. La priorité semblant mise sur l’attrait mélodique, chacune de ces pièces est tenue par des refrains ou mélodies suffisamment mémorables.
L’ambiance du disque est aussi très différente des précédents. Si elle est moins lourde, elle n’en est pas joyeuse pour autant, plutôt mélancolique, voire triste. La voix de LaBrie se fait souvent plus plaintive et fait oublier l’agressivité parfois surfaite des dernières productions. Trois ballades ajoutent à cet aspect lascif parfois un peu désabusé de l’ambiance ; c’est peut-être le défaut majeur de l’album, car elles n’arrivent pas à envoûter, juste à partager ce sentiment.
Sans vouloir faire du titre par titre, il est bon de s’arrêter sur certains d’entre eux. Le premier, "On The Back Of Angels", donne le ton ; c’est du Dream Theater classique, débutant sur un rythme appuyé, puis développant successivement et à l’envi des envolées lyriques, de claviers ou de guitares, le tout souvent soutenu par des chœurs aériens. Bien placé en seconde plage, "Build Me Up, Break Me Down" est de construction plus simple, mais l’ensemble est terriblement accrocheur. L’utilisation de percussions électroniques est osée alors que l’on vient de virer son batteur légendaire, mais ça passe. Le titre montre aussi la perméabilité du groupe aux sonorités et tendances actuelles et sa capacité à les phagocyter pour en faire du Dream Theater. Les arrangements modernes, innovants ou décalés (les cordes) font de ce titre une belle réussite. Vient ensuite "Lost Not Forgotten", très progressif, souvent accrocheur, même s’il contient aux deux tiers quelques plans moins bien intégrés. Il offre aussi quelques-uns des plus beaux soli de John Petrucci.
Ces trois premiers titres sont ponctués par la ballade "This Is The Life" qui a comme plus grand mérite de permettre de souffler un peu. Vient ensuite "Bridges In The Sky" (qui s’est tout d’abord appelé "The Shaman’s Trance") qui marque surtout par son intro incluant notamment quelques vocalises chamaniques couplées à des chœurs religieux. Il est dommage que ce thème ne soit pas développé plus longuement au cœur de la musique ; et ce manque d'audace est un des reproches que l’on peut adresser au groupe. À souligner pour ce titre, mais c’est valable pour tout l’album, des paroles souvent intéressantes voire interpellantes.
Outre deux autres ballades dispensables sinon dommageables, la dernière pièce de résistance est "Breaking All Illusions". Démarrant sur un rythme emmené par des claviers enjoués, ce titre regorge de thèmes différents et d’influences variées souvent tirées des années 70 (Jethro Tull, Pink Floyd, ELP, ...). Il permet aussi d’apprécier le groove du jeu tout en finesse de Myung et de Mangini, ce dernier empruntant les pantoufles de Mike Portnoy sans démériter mais sans marquer la musique de son empreinte. Malgré sa richesse, il manque à ce titre l’envolée finale qui aurait dû mettre toutes les pendules à l'heure... Occasion ratée.
Sans porter cet album au panthéon des œuvres majeures du théâtre de rêve, il faut simplement constater que son accessibilité dépasse - et de loin - celle de ses précédentes productions. On hésite pas, quelque soit le moment de la journée à remettre la galette dans l’avaleur, signe qui ne trompe pas ! Pourtant, une certaine précipitation à vouloir démontrer que le groupe avait résisté au départ de Mike "Metal" Portnoy a sans doute limité la puissance de l'ensemble, conduisant à un certain manque de lucidité dans l’équilibre des titres (ces trois ballades !) et un bon manque d’innovation, voire même un retour en arrière, malgré d'indéniables bonnes idées. La teinte définitivement mélancolique, nostalgique et parfois fataliste de l’ambiance, contribuent à faire de ce disque un objet qui, s'il n'est pas parfait, n'en est pas moins très attachant !