Pour fêter ses vingt ans de carrière, Lacrimosa sort le premier double album de sa carrière sur lequel il effectue une rétrospective de ses dix albums studio et de ses deux live. "Schattenspiel" se présente donc comme une compilation. Oui, mais ! Rien n'est jamais simple avec Lacrimosa. Plutôt que de se contenter de piocher dans son répertoire étoffé pour en tirer les titres les plus représentatifs et en faire un quelconque best of, Tilo Wolff sort de sous son chapeau de clown blanc quelques versions alternatives et un paquet de titres inédits qu'il n'avait pas jugé bon d'incorporer à ses albums du moment pour des causes diverses et variées.
Le premier disque est consacré aux années 90, le second se concentrant sur les années 2000. Dit comme cela, on pourrait penser que la répartition est équitable. Pourtant, en y regardant de plus près, on remarque vite un certain déséquilibre. Ainsi les quatre premiers titres sont datés de 1990, année de création de Lacrimosa comptant alors Tilo Wolff pour unique membre. Et un vide de six ans s'étend entre le dernier titre du disque 1, une version allongée de 'Copycat' ("Inferno"), et le premier titre du disque 2, une version remixée de 'Ein Hauch Von Menschlichkeit' ("Echos"). Or, entre les débuts un peu étriqués du groupe (un seul musicien complètement autodidacte à la voix mal assurée s'accompagnant sobrement d'un synthé, de deux notes de piano et d'une cloche) et le son ample et majestueux de ses albums du tournant du siècle, où le groupe compte alors deux claviers, une basse, plusieurs guitares, deux batteries, un ensemble de choristes et parfois jusqu'à deux orchestres symphoniques, la musique a sensiblement évolué pour atteindre une puissance qu'elle ne dégageait pas à ses débuts.
Il est donc dommage de devoir attendre le septième titre, 'Schakal', pour entendre enfin une musique débarrassée de son complexe d'introversion. Plus regrettable encore, et même incompréhensible, est l'impasse faite sur "Stille", "Elodia", "Fassade" et "Echos", les quatre albums les plus symphoniques du groupe. Car si le second disque s'ouvre sur un titre rescapé d'Echos", les autres titres sont tous des inédits composés entre 2003 et 2010. Néanmoins, écrits lors de la période orchestrale du groupe, ils se révèlent moins froids que les morceaux du premier disque et réservent quelques belles envolées dans le style romantique désenchanté propre à Lacrimosa, ponctuées du chant déchiré si caractéristique de Tilo Wolff. Mais, si ce deuxième CD est moins ardu que le premier, il n'atteint cependant jamais le niveau des albums, de "Inferno" à "Sehnsucht".
A vouloir trop bien faire, Lacrimosa n'a finalement pas su se rendre l'hommage qu'il méritait. Si certains titres sont agréables, "Schattenspiel" reste un reflet très imparfait de l'originalité de ce groupe de grande qualité et le déséquilibre entre les deux disques, l'un très austère, presque minimaliste, l'autre plus orchestral mais aux sonorités assez agressives, ne permettent pas à l'auditeur de s'immerger dans cette musique, ni même de se faire une juste idée de l'univers si particulier à ce groupe. Réservé strictement aux collectionneurs.