Malgré la réussite artistique de Prison Of Desire, publié l'année précédente, c'est véritablement grâce à son successeur que After Forever va s'imposer dans la cour des grands du Sympho-Gothic-Metal. On peut même affirmer que le groupe, sous sa configuration classique c'est-à-dire fonctionnant avec le binôme Mark Jansen/Sander Gommans, y apparait (déjà) à son apogée. Tout est en place, les hymnes sont là, le charme et l'empathie pour une troupe de musiciens encore innocents, aussi.
S'il creuse un sillon identique à son aîné d'un an, Decipher l'amplifie par une prise de son plus enveloppée, donnant plus de corps et de puissance à une dimension orchestrale que le guitariste démissionnaire continuera d'explorer avec Epica alors que After Forever tendra, à partir de Exordium et Invisible Circles, à couler son identité dans une musique plus brute et réaliste tout en se voulant plus thrashy peut-être, évolution en demi-teinte qui lui permettra toutefois de se distinguer à la fois de son concurrent naturel et de la masse toujours plus grande des inévitables suiveurs qui ne manquera pas les années suivantes de tenter de se frayer un chemin dans son sillage.
Basé sur l'accouplement, certes éprouvé mais efficace, entre chant opératique féminin, celui de la sculpturale Floor Jansen, et sur les grognements de bête en rut de son homonyme dont on a cru - à tort - qu'ils étaient frère et sœur ou bien époux, auquel les Hollandais greffent des modelés symphoniques qui, loin d'en limer la puissance lui confère une ténébreuse beauté, l'opus déroule une trame redoutable qui sera ensuite reprise par Epica : une intro grandiloquente pour commencer ("Ex Cathedra"), un titre pêchu aux allures d'hymne instantané qui lui embraye le pas ("Monolith Of Doubt"), un final sombre et grandiose ("Forlorn Hope") et entre, une succession de pièces soit épiques (l'immense "My Pledge Of Allegiance", qu'ouvrent des arabesques orientales, "Estranged"), brulots plus ramassés ("Zenith", "Emphasis") et pause où toute l'émotion dont est capable la belle éclate au grand jour ("The Key").
Aucune baisse de régime, aucun remplissage durant ce Decipher dont on peut estimer, sans prendre trop de risque, qu'il reste ce que le groupe a fait de mieux (avec son testament de 2007) et qu'il peut être envisagé comme une des pierres angulaires du genre avec bien entendu, The Phantom Agony de qui vous savez. Si l'on peut regretter que l'association aussi inspirée que complémentaire entre les deux guitaristes ait été (trop) éphémère, aboutissant à une implosion certainement inévitable eu égard aux directions musicales que les deux protagonistes emprunteront par la suite, mais survenue cependant bien trop vite, la scission de ces deux fortes individualités accouchera à la fois d'une seconde formation de qualité (Epica pour ne pas la nommer) et d'un After Forever aux atours différents, plus modernes mais non moins intéressants.