L’ésotérisme de Salim Ghazi Saeedi a quelque chose de fascinant. On aurait pu penser qu’après un parcours déjà étoffé en compagnie du groupe Arashk, ainsi qu’un premier essai en solo que nous avions chroniqué l’année dernière, l’artiste se déciderait enfin à civiliser quelque peu son propos musical, ou tout au moins nous livrerait une clé ou l’autre pour le rendre plus aisément universel.
Que Neni ! A l’occasion de cette rencontre avec l’espèce humaine, sa musique se fait plus expérimentale et plus déconstruite que jamais. Une façon de décrire la nébuleuse complexité de cette rencontre ?
En tout cas, l’énigmatique compositeur et multi-instrumentiste iranien est un artiste de parole : I never rationalize my music by melodic or harmonic theories, avait-il affirmé. "Human Encounter" en est une parfaite illustration.
Sur le fond, Salim définit son album comme un miroir du yin et du yang de l’humanité. Avec une amertume marquée pour le déséquilibre constaté, le côté sombre de l’homme, comme il le nomme lui-même, apparaissant comme beaucoup plus répandu que le côté lumineux. Il choisit de rendre hommage à ce dernier, essentiellement sur la seconde moitié de l’album, au travers de compositions dédiées à quelques artistes connus ou moins connus (les intitulés des morceaux pourront vous orienter, et Salim en dit davantage sur son site). Néanmoins, il n’y a pas de différence notable de tonalité musicale entre les deux axes; "Human Encounter" est un fluide uniformément étrange, mais aux propriétés successivement inquiétantes, mélancoliques, introspectives.
On retrouvera, ici et là, les parures d’un habillage électro-oriental ('For Eugene…', notamment), mais avec Salim, l’expressivité culturelle ne prend jamais le pas sur celle de son ressenti intérieur. Et lorsque celui-ci devient préhensible, les pensées les plus torturées et les plus refoulées se mettent soudain à remonter à la surface, aux travers de sonorités acoustiques et électro dotées de la même schizophrénie, et de phrasés aux allures improvisées de piano bar, mais dépossédés de l’insouciance qui leur est habituellement associée.
Les sons bondissent, se croisent, s’interrompent les uns et les autres. Le piano est tour à tour psychédélique et sentencieux ('You Many One Devils'), la contrebasse est d’une infinie tristesse ('Lonesomeness') ou insidieusement pernicieuse ('Sadistic Teacher'), la guitare punk-rock (bien que moins présente dans cet opus) affectionne l’embuscade, saute au visage, égratigne.
Tout cela, sans qu’aucun mécanisme émotionnel coutumier, ou presque, ne puisse être décodé. Et pourtant, la musique de Salim n’est jamais inaudible, elle a une cohérence cabalistique : tout se passe comme si l’artiste avait inventé ses propres règles rythmiques, ses propres arpèges, son propre langage musical. La perception, du côté de l’auditeur, va dépendre de sa faculté à décrypter ce langage.
Il n’est pas possible, évidemment, de recommander "Human Encounter" pour ce qu’il n’est pas : une création artistique accessible, aux formules accrocheuses, séductrices ou immédiates. A la lecture de cette chronique, vous devriez toutefois disposer de quelques indices pour savoir si vous êtes éligible à la tentative d'une expérience parmi les plus insolites… Notez bien la symbolique de l’imagerie : Salim semble s’éloigner vers des rivages inconnus. Certains y verront la confirmation qu’il a choisi de tourner le dos au plus grand nombre. Mais d’autres pourront comprendre qu’il nous invite à le suivre, au long de son parcours initiatique.