Contrairement à ce que pourrait laisser supposer son patronyme, Anubis ne nous vient pas d'Egypte, mais du continent australien. "A Tower Of Silence" est le second opus du groupe dont le premier, "250303", paru il y a deux ans avait été grandement apprécié par la rédaction de MW.
Comme pour rassurer ses admirateurs, le groupe abat d'entrée de jeu ses cartes avec un premier épic de dix-sept minutes. Passée une courte introduction majestueuse, 'The Passing Bell' alterne riff de guitares agressives, chant haché, percussions et basse soutenues, et nappes de claviers dans un pur style néo-prog rappelant les premiers albums d'Overhead pour la mélodie et Sylvan pour le chant. Cependant, malgré ces belles références, le choix de ce titre pour ouvrir l'album semble quelque peu inopportun. En effet, si le morceau dégage une belle énergie, il devient assez vite répétitif et artificiel, le groupe semblant reproduire mécaniquement et sans passion des recettes toutes faites sur les deux premiers tiers du morceau. Fort heureusement, cette impression mitigée s'estompe sur le troisième tiers, les six dernières minutes nous gratifiant de quelques notes de piano entêtantes enveloppées par un superbe solo de guitare gilmourien.
A compter de ce moment, l'album n'ira qu'en se bonifiant. Dans la plus belle tradition du rock progressif, Anubis ne se contente pas de jouer des titres longs : il enchaine les quatre premiers morceaux par de discrètes transitions, dans un style musical homogène mais suffisamment diversifié pour éviter toute lourdeur. Puis, après deux titres plus courts et solitaires, le groupe termine en beauté l'album par deux mini-épics de plus de onze minutes chacun, alternant temps forts et temps calmes avec maestria. C'est à la fois soutenu et doux, fourni sans être touffu. La sensation de superficialité ou d'artifice du début a disparu, l'auditeur devient captif : les techniques d'accroche sont toujours les mêmes (une guitare qui se déchire, des arpèges ténus au piano, une batterie bien en relief) mais leur mixage se fait dans une transparence qui permet d'adhérer sans arrière-pensée à cette musique.
Bien sûr, à l'écoute, certaines références s'imposent : outre Overhead et Sylvan déjà cités, on retrouve disséminé du IQ, du Pendragon (le court 'Weeping Willow' pourrait sortir de 'The Window Of Life') et du Pink Floyd, non seulement par les saillies de la guitare, mais par les nappes spatiales de claviers rappelant un certain Richard Wright, et même le saxophone de 'The Holy Innocent' qui semble issu de "The Dark Side Of The Moon". Mais l'ensemble est ingénieusement mélangé pour éviter de crier au plagiat. De plus, Anubis a un sens incontestable de la mélodie, à la fois suffisamment simple pour flatter l'oreille dès la première écoute et suffisamment raffinée pour tenir la distance après plusieurs passages. Enfin les multiples chanteurs qui entremêlent leurs voix (les six membres du groupe chantent) réussissent à nous envouter dans ce kaléidoscope qui tantôt résonne du timbre de Peter Nicholls, pour s'effacer devant un Marco Glühmann ou un Nick Barrett, chacun pouvant finalement y trouver son compte.
Album conceptuel narrant la vie et la mort d'une petite fille de onze ans dans l'Angleterre du XIXème siècle, 'A Tower Of Silence' ne peut certainement pas prétendre être innovant. Mais la qualité d'écriture et d'interprétation de cet album permet de passer un excellent moment, et c'est bien là l'essentiel.