Il y a un an et demi sortait Aquarius, le premier album d’Haken et une découverte venue d’Angleterre. Ce fut pour beaucoup (dont votre serviteur) une des plus belles nouveautés dans un style majoritairement métal mais pas seulement. Fort de ce nouveau statut de groupe attendu, Haken a créé la surprise en sortant rapidement son deuxième album, Visions. Ce succès n’a pas eu raison d’un line-up en totalité reconduit. On retrouve donc les six musiciens emmenés par la voix de Ross Jennings et le compositeur-guitariste Richard Henshall.
Haken n’a pas baissé dans son inspiration car l’album est sensiblement aussi fourni que Aquarius avec des morceaux en moyenne moins longs, et une pièce finale de plus de vingt minutes. Parmi ces titres «courts» il y a deux instrumentales (une nouveauté) qui sont de très belles démonstrations mélodiques et techniques. Qu’elles soient un prologue grandiloquent avec "Premonition" ou un pur exercice de style pour "Portals", la signature d’Haken est encore présente dans les orchestrations majestueuses, les grosses guitares 8 cordes apportant noirceur et pesanteur, les cassures et les mélodies éclatantes.
La seule vraie nouveauté dans le contenu musical de Visions est l’abandon des inspirations extrêmes. Exit les chants growls et les ambiances très noires. Dans Visions, les harmonies se sont modérées, et le côté très oxymorique s’est, en conséquence, apaisé. Mais Visions réussit là où Aquarius semblait pécher : la cohérence que l’on attend d’un album concept. Si pour Aquarius, on pouvait détacher clairement les chefs d’œuvre des morceaux moins marquants, Visions est totalement monolithique et chaque pierre est à sa place. Ceci en fait un album difficile à apprivoiser, laissant même une impression de confusion aux premières écoutes.
Comme pour Aquarius une grande diversité est de rigueur. Certains titres montrent un visage plus enjoué, à la frange du rock progressif d’ACT ou The Flower Kings ("The Mind’s Eye" et "Deathless") et du métal ("Noctural Conspiracy" et "Insomnia"), d’autres exaltent des ambiances glauques proches d’un Leprous ("Shapeshifter"). La pièce maîtresse de l’album, "Visions", développe une musique débridée et parfaitement cohérente avec le concept général. Les cassures jazz ou flamenco, les débordements à la Liquid Tension Experiment et les orchestrations du Haken String Quartet sont autant de moments pour une pure jubilation musicale.
Le premier album avait été un tel choc lors de sa sortie qu’Haken pouvait difficilement faire mieux. Les anglais ont réussi leur pari de composer un album passionnant de bout en bout, rectifiant le léger essoufflement d’Aquarius. Visions est la continuité du premier album en même temps que l’expression de la maîtrise dans l’enchainement des morceaux, sous-tendue par un concept intelligent. Celui-ci est, à la différence de bien des concepts ésotériques du métal progressif, bien conté et facile à suivre. La frustration causée par l’absence de ce tragique propre à Aquarius est totalement balayée à l’écoute d’un album proche de ce que le métal progressif peut inventer de meilleur.