Nous devons la bouillonnante association écossaise des Simple Minds aux deux tenants du titre, toujours fidèles à leur poste depuis 1975, Charlie Burchill et Jim Kerr. En fait, la formation existe déjà à cette époque, mais ne sera rebaptisée qu’en 1978. La musique affectionnée par ces rockers atypiques est plus un métissage de courants stylistiques variés, qu’une mouvance de la New-Wave FM à l’ouvrage au début des années 80. Au moins, on peut dire cela à l’aune des sonorités et des méthodes propres aux premiers albums, avant "New Gold Dream", qui va cimenter quant à lui une production artistique plus accessible, et confirmer le potentiel commercial du groupe. Il est vrai aussi que par certains élans caverneux, la griffe de Simple Minds rappelle un peu celle de Depeche Mode, mais on notera que la New-Wave pratiquée par ce dernier a cherché très tôt, elle aussi, à se démarquer des standards pop-FM.
"Empires And Dance" est un opus situé à la frontière du Rock expérimental et d’une expressivité musicale en quête de raffinements. Nouvelle vague oblige, les cordes électriques restent à l’arrière-plan, la basse assure l’escorte gutturale, alors que claviers et percussions se partagent le devant de la scène, échangeant parfois leur rôle, et nourrissant les ferments d’un laboratoire sonore où vont germer des substances inédites. Techniquement, c’est parfait. Sur le plan émotionnel, la productivité est indéniable, même si tout le monde n’y trouvera pas son compte. En fait, la majorité des titres obéissent à la même logique : une ligne rythmique ou synthétique aliénante, mais ponctuée d’éveils mélodiques d’un impact de pavé dans la mare, ou au contraire ascendants. En tout cas, l’emprise cérébrale fait mouche presque à chaque fois.
Ainsi, 'I Travel' est une déferlante de roulements électroniques en doublage d’une course de percussions effrénées, ni mélodieuse ni vraiment atone, et qui brusquement voit les Empires de Simple Minds s’élever et étaler puissance et mégalomanie, lorsque retentit le chant du refrain telle une ahurissante embardée de Glam Rock souverain.
Suspension provisoire de la méthode, avec l’orientalisant et rampant 'Today I Died Again', sur lequel Jim Kerr adopte une démarche vocale quasi gothique… Nous avions dit New-Wave ? Ce morceau est lui aussi une réussite, à tous points de vue : ambiance hypnotique prégnante, chant oppressant, arrangements impeccablement millimétrés. Le bal étrange reprend, avec la rythmique multi-instrumentale et désincarnée de 'Celebrate', parsemée d'un refrain incantatoire effectivement très en phase avec l’évocation d’une célébration occulte. Puis c'est le tour de 'This Fear Of Gods', une sorte de danse macabre où les transes chantées de Jim, hachées, torturées, élimées, dupliquées sur elles-mêmes, se confondant à de grinçantes et terrifiantes sonorités, se révèlent proprement inhumaines. Une descente aux enfers réfrénée tout à coup par un saxophone salvateur, tel un ange-guerrier s’élevant farouchement en face du démon. Et 'Capital City' de renchérir avec la mise en boucle de son gimmick électro totalement anesthésié, lui-même transpercé par l’eureka lumineux d’un onctueux vibrato de mellotron.
L’expérimentation est poussée à son paroxysme avec 'Twist/Run/Repulsion', un modèle de dissonance et de narration syncopée, décrétant le chaos instrumental, et sur fond de réflexions en langue de Molière qu’une voix féminine égrène de manière totalement monocorde… et surtout, sans jamais pratiquement achever son propos ! Se pouvait-il qu’elle fût maintenant si bienveillante et attentionnée pour lui ? Il gravit à grands pas l’escalier, se transporte…
La quintessence d’ "Empires And Dance", par nature, ne saurait prétendre à l’universalité. Il n’y aura pas de succès commercial pour cet album, et il faut bien avouer qu’il n’est pas possible de réfuter, dans la logique de l’auditoire majoritaire, les arguments qui s’opposeront à son anticonformisme assez radical. Pour les autres, lorsque le disque repasse dans le lecteur, ce n’est jamais anodin, car quelque chose de surréaliste se reproduit à chaque fois.