Le Rock français aux couleurs d’outre-manche a le vent en poupe… Notre compatriote (et Lorrain) Christophe, ayant fait muter son patronyme vers celui de Crisluna pour la circonstance, revendique pleinement son credo musical post-rock à l’anglo-saxonne : "Babylon Child" n’affiche absolument rien de la variété frenchy, pas même le support linguistique, l’auteur ayant adopté l’anglais comme seul et unique vecteur de vocalises. A la clé, une visée dogmatique ? Affirmatif, car il présente lui-même le projet comme une invitation au voyage sonore à travers les merveilles et les horreurs de notre monde. Le ton est donné.
Une frayeur presque immédiate, une fois passée l’introduction ténébreuse de 'Nightbird' : celle que ce Rock puissamment électrisé, flirtant parfois avec le Hard FM synthétique, mais lui préférant le plus souvent la tendance gothique, ne tienne pas ses promesses sur la distance. Car l’album a tout de même l’ambition de dépasser les 70 minutes ! Et il est vrai qu’en sa position stratégique de pièce maîtresse succédant immédiatement à l’ouverture, 'Huma' ne parvient pas à convaincre tout à fait, en raison peut-être d’une approche mélodique mal soutenue (étouffée par la production, sur les moments forts).
Heureusement, les craintes se dissipent aussitôt ensuite : du crescendo hypnotique de 'Why' jusqu’aux rêveries électro aériennes de 'Two' (aux saveurs oniriques de l’equally made in France Air band), en passant par le surprenant break symphonico-progressif de l’énorme 'Black Sun' (et parfaitement implémenté par ailleurs), Crisluna effectue la brillante démonstration de son savoir-faire éclectique, sur une tonalité à la fois sombre et épique. En ce sens, et par certains traits vocaux également, l’esprit de cette musique rappelle celui d’un Midnight Oil qui n’avait pas son pareil pour passer d’un registre émotionnel à un autre, avec un naturel défiant les lois cartésiennes.
Mais "Babylon Child", c’est plus que cela : les compositions de Crisluna empruntent leurs codes à une pléthore d’univers, comme ceux d’un Glam Rock de David Bowie ('Letter Of War', par exemple), d’une New-Wave réfractaire -nourrie d’idéaux punk- comme les Cure en avaient le secret ('Love Bus', entre autres), ou encore des limbes revisitées d’un Floyd sépulcral (en période Waters pour la texture des vocalises).
Ajoutons-y une propension particulière pour le développement de généreuses séquences instrumentales, une méthode dosant intelligemment l’électronique et l’acoustique, et un certain goût pour les ponctuations-surprises (Crisluna en auto-acclamation par exemple, clôturant 'Nightbird'), et vous aurez compris que "Babylon Child" est un projet qui ne rime pas avec ennui. Mais le gros point fort de l’album, c’est surtout de parvenir à cimenter cette diversité, de manière à ce que la perception auditive, de la plage n°1 à la plage n°12, soit assimilable comme unique et indivisible. Il ne s’agit pas d’un banal assortiment de styles : il y a bel et bien une sonorité, une griffe Crisluna.
Finalement, on ne peut guère reprocher à l’artiste qu’une soif créative immodérée, qui l’entraîne parfois un peu loin; 'Street Of Peace', 'You Shoot Me' ou l’interminable titre éponyme auraient pu être plus efficaces avec plus de concision. Pas de quoi gâcher la découverte de ce premier album… pour le moins prometteur !