Après avoir quelque peu hésité sur le formatage à adopter, et finalement favorisé la mixité des concepts (l’album précédent, notamment, embarque deux titres de moyennes durées pour deux autres très longs), l’équipage du capitaine Linus Kåse semble décidé à enfoncer le clou d’une approche intrinsèquement progressive.
"The Magician Chronicle", affublé de son suffixe numéraire, laisse entendre qu’un opus en Part II est déjà à l’étude, posant ainsi les jalons d’un projet conceptuel étalé sur plusieurs étapes, et réduisant encore la segmentation du programme par rapport à "Believers & Deceivers" : ici, 3 plages seulement. Dont le plat de résistance en ouverture, 'The Rise…', pilier artistique aussi bien au niveau de la durée que de la verve qualitative.
Cette ascension auto-proclamée mérite bien ses 23 minutes, car son découpage narratif est aussi limpide que productif : introduction rythmée et fébrile, à grands renforts de basse et de mellotron exalté. En phase suivante, nappes de vocalises aériennes et oniriques, dosant intelligemment mélodie et atonie, puis soli successifs des différents protagonistes instrumentaux, saxophone, guitares, orgue et claviers, chacun dans une libre tonalité, du chaos à la rêverie. Final épicurien alliant mélodieusement les vocalises et l’orchestration, sans verser dans le mélo : c’est simple, et c’est beau !
La suite est loin d’être à la traîne, prolongeant les effets du souffle naturel de Brighteye Brison sur les braises d’inspirations Yes ou Génésiennes, même si le premier tiers de 'The Magician’s Cave' paraît s’endormir un moment sur sa litanie gothico-narrative affranchie de toute velléité mélodique. Mais le morceau nous gratifie lui aussi d’une clôture en cérémonial de toute beauté, magnifiant l’élévation en symbiose de fervents chœurs liturgiques et d’élans symphoniques, faisant bien vite oublier les atermoiements antérieurs.
Brighteye Brison cultive une musique foisonnante, mais précise dans son expressivité. La section rythmique se contente de l’accompagnement, le plus souvent, ce qui ne l’empêche nullement de se montrer très vivace. Et la production générale a la clairvoyance de ne pas sacrifier l’essentiel au bénéfice de la surenchère. En témoigne la texture du chant, tranchée, mais jamais criarde ni agressive. La similitude des tessitures par ailleurs, alternant les prestations de Kåse, Hallman et de Eng, infléchissent les émotions ressenties sans nuire à la cohérence vocale.
Ainsi, "The Magician Chronicles" est situé à la juste intersection d’une musique atmosphérique proche de l’Ambient, et d’un Rock fougueux dont l’écriture est suffisamment développée pour mériter le statut de progressif. Attention, insistons bien sur cette notion d’intersection ou de croisée idéale : il ne s’agit pas d’un mauvais compromis entre deux types de musiques, mais bien d’une fusion bicéphale, productive aussi bien sous le premier angle d’approche que sous le second. Si vous écoutez le nouvel opus des Suédois par le biais d’une oreille distraite, vous bénéficierez des bienfaits d’une potion auditive reposante et rassérénante, sans qu’aucune gêne particulière ne vienne perturber la conversation ou l’occupation placée sous son accompagnement musical. Et si vous plongez au cœur des Chroniques du Magicien, vous y découvrirez une foultitude savoureuse de breaks rythmiques, de virages émotionnels, crescendo accrocheurs ou autres soli aériens.
Voilà un album épique, aux accents philosophiques et enjoués, et qui sans afficher de prétention révolutionnaire en ces territoires ésotériques de la musique prog’, se laisse écouter en boucle et sans lassitude. Chapeau !