Si certains en doutaient encore, Nightwish est avant tout l’œuvre de Tuomas Holopainen. Entièrement sorti de l’imagination du leader et claviériste, "Imaginaerum" en est la preuve, suite logique de "Once" et de "Dark Passion Play", continuant à développer les aspects symphoniques et orchestraux, mais également progressifs et celtiques. Conçu comme la bande originale d’un film devant sortir en Mars 2012 et contant les aventures d’un homme âgé refusant de vieillir et voyageant à travers des mondes imaginaires pendant son sommeil, "Imaginaerum" pousse les expérimentations encore plus loin et en profite au passage pour imposer Anette Olzon aux amateurs du groupe scandinave, ce que "Dark Passion Play" n’avait pas complètement réussi à faire 4 ans auparavant.
En effet, partageant régulièrement le chant avec Marco Hietala, la Suédoise offre un véritable récital, démontrant des qualités théâtrales jusqu’alors inconnues. Il est vrai que, contrairement au précédent opus, "Imaginaerum" a été composé en sachant qu’elle tiendrait le rôle de frontwoman. La métamorphose n’en est pas moins époustouflante, en particulier sur le surprenant et jazzy "Slow, Love, Slow" qu’elle mène avec sensualité, alors que Emppu Vuorinen nous y délivre un solo tout en feeling et en parfaite adéquation avec le style. "Scaretale" est également une démonstration, Anette y tenant le rôle d’une sorcière sur une orchestration durant laquelle Nightwish se mêle au monde de Tim Burton et aux envolées de Hans Zimmer ou Danny Elfman. Alternance de passages symphoniques et métalliques, break délirant digne de Charlie et la chocolaterie ou de l’étrange Noël de Mr. Jack, voire du Phantom Manor du parc Disneyland, passages orchestraux que l’on croirait sortis des Pirates des Caraïbes, tout se mélange dans une suite qui n’en perd pas pour autant sa cohérence.
Tout l’album est à l’avenant de ce titre, d’une richesse telle qu’il est difficile de décrire chaque morceau sans entrer dans une étude rébarbative qui ne rendrait pas hommage à une œuvre aussi passionnante que foisonnante. Renforcé par un grand orchestre londonien à nouveau dirigé par Pip Williams, et par Troy Donockley qui s’occupe toujours des instruments celtiques, le quintet scandinave nous embarque pour un voyage vertigineux dont il nous tarde de découvrir la partie visuelle pour la comparer aux images que la musique a pu faire naitre dans notre imaginaire. Après une introduction chantée en finnois pas Marco sur fond de boite à musique, la première partie concentre la plupart des titres les plus métalliques, que cela soit le premier single, "Storytime" avec sa ritournelle obsédante, le sombre "Ghost River" avec le double chant théâtrale de Anette et d’un Marco particulièrement menaçant, le tout renforcé par des chœurs enfantins, ou un "I Want My Tears Back" aux éléments celtiques et au refrain imparable.
Lancée par le break instrumental d’un "Arabesque" aux accents moyen-orientaux, la seconde partie se veut plus calme et mélodique, remplaçant la puissance du Heavy-Metal par celle des sentiments, parfois folkloriques menés par la délicatesse de la flute ("Turn Loose The Mermaid" et son break western digne d’Ennio Morricone), souvent mélancoliques ("Rest Calm"). L’ambiance plus apaisée n’en est pas moins interrompue par un puissant "Last Ride Of The Day" à la mélodie hypnotisante, avant que "Song Of Myself" ne déverse ses plus de 13 minutes progressives. Morceau de bravoure, ce titre commence avec une première partie sombre et puissante avant d’enchainer sur 6 minutes plus calmes durant lesquelles plusieurs proches du groupe viennent lire quelques phrases. Jumelée au titre éponyme qui vient conclure l’ensemble en reprenant les différents thèmes de l’album à la manière d’un générique de fin, cette cassure entraine une légère baisse d’intensité que certains pourront trouver reposante.
Difficile de savoir comment le public va réagir à une œuvre aussi ambitieuse tant Tuomas a poussé loin l’expérimentation. Si certains regretteront la mise en retrait de la guitare d’Emppu et de quelques éléments métalliques, ceux qui sauront se laisser emporter par l’imaginaire de cette œuvre ne pourront que se sentir envahis par le génie et la puissance narrative d’un "Imaginaerum" qui ne pourra laisser personne insensible. Quant à ceux qui resteront imperméables à ce retour en enfance, ils reconnaitront au moins l’ambition d’un projet qui marquera l’histoire de Nightwish, si ce n’est celle du Métal Symphonique en général.