Tel le balancier d'une comtoise, la musique de Jethro Tull oscille entre rock et folk depuis qu'elle a pris ses distances avec ses expériences progressives. Tic, et c'est le rock un peu fade de "War Child", tac et c'est le folk sophistiqué et complexe de "Minstrel In The Gallery", tic, retour au rock désabusé de "Too Old To Rock'n'Roll", tac, "Songs From The Wood" déboule avec son folk médiéval.
Dans ce match que se livre à lui-même le groupe, c'est sans conteste ses albums à tendances pastoralo-acoustiques qui l'emportent, le style semblant aller comme un gant à Ian Anderson et ses acolytes. "Songs From The Wood" ressemble donc au petit frère de "Minstrel In The Gallery", un petit frère qui, tirant probablement leçon des reproches faits à son ainé, a affiné ses mélodies, gommant les aspérités que l'on pouvait trouver sur l'album de 1975.
Néanmoins, tout en prodiguant des mélodies plus accessibles, moins cérébrales, Jethro Tull a su éviter le piège de la fadeur et du manque de personnalité, exploit qu'il ne rééditera malheureusement pas sur l'album suivant. Car le tour de force de "Songs From The Wood" est bien d'aligner des titres aux mélodies facilement mémorisables, où rien ne vient froisser l'oreille, tout en procédant à de fréquents changements de rythmes, en jouant avec l'opposition ou la superposition des instruments, en enrichissant chaque chanson d'une multitude de détails et d'une orchestration fouillée. Des chœurs a cappella de 'Songs From The Wood' aux ruptures de l'orgue de 'Hunting Girl', de l'introduction médiévale raffinée de 'Velvet Green' à l'enthousiasme communicatif de 'The Whistler', des riffs sombres et inquiétants introduisant 'Pibroch' à la préciosité d'une troublante beauté qui clôt ce même titre, l'auditeur découvre avec délice au fil des écoutes une profondeur qu'il était loin d'imaginer.
Compagnon de route depuis "War Child", David Palmer intègre pour la première fois le line-up officiel du groupe, portant à deux le nombre de claviéristes, sans pour autant que les parties d'orgues et de piano n'étouffent les autres instruments. La flûte est pratiquement omniprésente d'un bout à l'autre de l'album, plus souvent pastorale que guerrière, retrouvant un soupçon d'agressivité sur la première partie de 'Pibroch' uniquement. Quant à Martin Barre, s'il ne se lance pas dans des solos de guitare ébouriffants, il tisse, tel un orfèvre, une toile de cordes d'une remarquable densité.
Avec "Minstrel In The Gallery" et "Songs From The Wood", Jethro Tull invente le concept du folk-progressif, un folk où, à des formats plutôt courts faits tantôt de litanies qui tournent en boucle, tantôt de classiques alternances de couplets / refrains, viennent se mêler des éléments exogènes, à dose pas si homéopathique qu'il n'y paraît, mais introduits d'une façon si subtile qu'ils semblent naturels.
"Songs From The Wood" est une excellente introduction au monde de Jethro Tull, apte à satisfaire les plus exigeants. Ceux dont les goûts les portent à une certaine simplicité pourront poursuivre agréablement leur exploration avec les deux albums qui suivront. Les adeptes d'expériences musicales plus audacieuses pourront sans hésitation se repaître de "Minstrel In The Gallery" avant de s'attaquer au monumental "A Passion Play". Remarquablement interprété, cet album est l'un des plus aboutis que le groupe ait commis.