Fidèle au rythme qu'il s'est imposé depuis sa création, Jethro Tull revient avec son album annuel, "Heavy Horses". Pink Floyd avait osé mettre une vache sur la pochette d'"Atom Heart Mother", Jethro Tull reprend l'idée à son compte en s'affichant avec deux chevaux, il est vrai tenus par la bride par un gentleman farmer.
1978, annus horribilis pour les amateurs de rock progressif, ou même de rock sophistiqué : la plupart des grands noms qui ont fait les belles heures de la première moitié de cette décennie est muette (Pink Floyd, King Crimson, ELP), et ceux qui s'expriment auraient peut-être dû s'abstenir : Genesis commet le popisant "And Then They Were Three", Yes sort "Tormato" avant d'exploser, The Who l'horrible "Who Are You", Queen le tout aussi décevant "Jazz", … Contraints à évoluer vers des structures plus simples sous la pression d'un public à la recherche d'une musique plus directe et d'une critique prompte à crucifier toute composition un tant soit peu élaborée, le plus grand nombre tâtonne et patauge, s'égarant sur des chemins qui ne leur sont guère familiers.
Jethro Tull s'est toujours tenu un peu à l'écart du progressif, sa musique étant avant tout un mélange de folk, rock et hard-rock. Par ailleurs, le caractère bien trempé de Ian Anderson tient le personnage à l'abri des phénomènes de mode. Cela explique sans doute le fait que "Heavy Horses" ne diffère pas du style des albums précédents et qu'on y retrouve tous les ingrédients chers au groupe : des mélodies simples, suivant généralement le format conventionnel d'une chanson, faisant fréquemment référence au folklore britannique, une interprétation compacte où les instruments sont le plus souvent au service du chant et ne se mettent en valeur que lors de brefs solos, et une nette prédominance des guitares, tantôt électriques, tantôt acoustiques, et de la flûte.
Mais, avec ce onzième album, Jethro Tull donne l'impression de tourner en rond : l'inspiration des grands jours n'est pas au rendez-vous et chaque titre a un goût de réchauffé. Pas de quoi fouetter un chat, les morceaux sont plutôt agréables, avec des hauts et des bas, mais si aucune chanson ne provoque l'impérieux besoin d'arrêter le disque, pas une n'est mémorable. Si 'Acres Wild' donne envie de danser et 'Moths' de chanter, tous les autres titres courts sont bien ternes. Des deux titres longs, 'Heavy Horses' retient immédiatement l'attention avec son intro moyenâgeuse et son chant médiéval, mais la seconde moitié traine en longueur et se termine en queue de poisson, comme si le groupe ne savait plus comment se sortir de cette mélodie en boucle. Un titre qui aurait surement gagné à être raccourci de quelques minutes. 'No Lullaby' quant à lui lorgne du côté d'Aqualung', alternant les solos débridés de guitare électrique à la Led Zep avec des moments plus calmes, tantôt ponctués de gros coups de caisse, tantôt de flûte pastorale, mais le manque de conviction de l'interprétation ne permet pas au morceau de décoller. Ian Anderson notamment n'y est pas. Sa voix est éraillée et manque de présence. Il suffit d'écouter le dernier titre bonus, le seul à être chanté d'une voix claire et volontaire, pour se convaincre qu'il n'est pas au mieux de sa forme sur le reste du disque.
Si Jethro Tull évite le carton rouge qui sera décerné à nombre de ses pairs la même année, "Heavy Horses" reste un album en demi-teinte qui n'ajoute rien à la carrière du groupe et n'arrive pas à rééditer la bonne surprise qu'avait été "Songs From The Wood".