Est-il encore nécessaire de présenter des monuments tels que Jon Anderson et Rick Wakeman ? Outre leur participation au line-up le plus célèbre de Yes durant les années 70, puis en pointillé pour Wakeman de 1990 à 2004, ils se sont illustrés chacun de leur côté dans des carrières solos foisonnantes, se retrouvant même l'espace d'un disque au sein d'Anderson, Bruford, Wakeman, Howe alors en compétition avec le Yes officiel.
Car l'histoire de Yes n'est pas un long fleuve tranquille et la réunion de ces deux personnalités est l'un des derniers avatars de ce géant du progressif. En effet, souffrant de problèmes de santé l'empêchant de participer à la prochaine tournée prévue en 2008, Jon Anderson a mal vécu son remplacement au sein du groupe par le chanteur d'un tribute band et bat froid ses anciens compagnons depuis lors. Simultanément, il se rapproche de Rick Wakeman qui avait déjà quitté le navire et avec qui il avait fait une tournée en 2006, interprétant des standards de Yes, mais aussi quatre nouveaux titres qui figureront sur leur futur album, "The Living Tree" sorti en 2010.
Apparemment infatigables, les deux hommes repartent pour une série de concert en 2010 au cours desquels ils mélangent des titres issus du répertoire de Yes et de leur nouvel album. "The Living Tree In Concert - Part One" issu de ces sessions ne reprend qu'une partie des chansons interprétées, le "Part One" pouvant laisser espérer un "Part Two" où se retrouveraient les morceaux délaissés.
Car, à la qualité de l'opus qui nous est proposé, on ne peut que souhaiter que le plaisir se prolonge. Dès le titre d'introduction, 'And You & I', on est tout de suite happé par la douceur et la qualité/fragilité de l'interprétation. C'est doux, frais, entrainant, nostalgique, Anderson compense les faiblesses de sa voix par une interprétation nuancée et intelligente qui s'adapte particulièrement bien à ce très beau titre et Wakeman fait preuve d'une retenue dans la virtuosité dont il n'a pas toujours su faire preuve par le passé. Une alchimie parfaitement réussie entre ces deux hommes qui revisitent avec brio ce grand classique yessien tiré de "Close To The Edge", réussissant à le transformer sans le défigurer. Du grand art.
Tout l'album est de la même teneur et de la même qualité, intimiste, doux sans être ennuyeux. Anderson et Wakeman tiennent leur public en haleine à la force d'une voix dont le léger voile renforce l'impression de fragilité, de quelques accords de guitare acoustique et d'une panoplie de claviers. Les nouvelles compositions se marient avec harmonie aux anciens titres de Yes, revisités pour l'occasion avec intelligence et assumés de manière époustouflante. 'Long Distance Runaround' ("Fragile"), 'Time And A Word' (album éponyme) façon reggae, 'Southside Of The Sky' ("Fragile") et 'The Meeting' ("ABWH"), autant de moments réjouissants pour découvrir une autre facette d'un répertoire que l'on pensait connaître par cœur.
Mais les titres issus de "The Living Tree" ne cèdent en rien à leurs illustres homologues. Des compositions variées, mélodieuses, sur lesquelles Rick Wakeman nous régale d'une virtuosité discrète, égrenant des notes perlées, faisant de chaque titre une dentelle fine, réussissant à faire oublier ses prouesses techniques par l'émotion qu'il suscite.
Apparemment, les deux compères sont comme le bon vin, vieillir ne fait que les améliorer. Ils nous offrent un bien agréable cadeau avec cet album d'une grande grâce, d'une extrême finesse et d'une belle justesse de ton. Un moment rare et de toute beauté.