Quoi de neuf dans le monde de Jethro Tull à l'entame de cette nouvelle décennie ? Eh bien, tout, ou presque. D'abord cette pochette surréaliste (pour le groupe) qui a du faire halluciner bon nombre de fans de l'époque : à mille lieux des atmosphères médiévales, pastorales, rupestres auxquelles le groupe nous avait habituées, la photo tient du mix entre le studio d'enregistrement et la navette spatiale. Il est vrai que les eighties sont la décennie de la technologie musicale à grand renfort de synthés qui font des zippp et des wvhoo à tout-va pendant que les tables de mixage permettent toutes les audaces et gomment les défauts qui faisaient parfois le charme des disques des 70's.
Ensuite, après une longue période de relative stabilité dans son line-up, celui-ci se voit presqu'entièrement renouvelé : seul Martin Barre survit au coup de balai que Ian Anderson donne à sa création, alors que les fidèles John Evan et Barriemore Barlow cèdent leurs places à Dave Pegg (basse), Mark Craney (batterie) et Eddie Jobson, qui n'a curieusement que le statut d'invité même si sa contribution aux claviers et au violon électrique est des plus actives.
Enfin, et c'est le plus important, un vent frais souffle sur la musique. Jethro Tull nous a souvent habitué par le passé à faire la navette entre ses penchants folk et ses tendances rock, ne dédaignant pas de petits crochets par le progressif, même si ses trois derniers albums surfaient plutôt sur des airs folks. "A" (qui en passant tiendrait son nom de l'initiale de Anderson, l'album étant à l'origine conçu comme un projet solo) jette aux orties les instruments acoustiques et les chansons que l'on danse au coin du feu, et déroule à un train d'enfer des titres enlevés, énergiques, sur lesquels la guitare électrique lâche quelques solos débridés qui émergent de la profusion de claviers qui nimbe cet album. La basse fait un travail remarquable, la batterie casse tout sans assourdir, et Ian Anderson est au mieux de sa forme tant vocalement que flûtistement.
Bref, ce que pouvait faire craindre la pochette futuriste s'avère finalement une bonne surprise. Les compositions sont de qualité et le groupe déborde d'une énergie communicative. Certes les gimmicks eighties, peut-être novateurs pour l'époque, semblent un peu démodés et les tonalités de synthés dans l'hyper-aigu et les voix passées au vocoder, qui émaillent certains titres, rappelant Electric Light Orchestra à la même époque, ont mal vieilli. Mais Jethro Tull a gardé son goût des structures alambiquées, et des titres comme 'Fylingdale Flyer' ou 'Black Sunday' enchainent les cassures surprenantes, les variations, tenant en haleine l'auditeur par l'impression d'urgence et la vitalité qu'ils dégagent. 'Uniform', quant à lui, est un titre étrange où les riffs du violon synthétique et la fantaisie de l'interprétation ne sont pas sans rappeler "The Quiet Zone/The Pleasure Dome" de Van der Graaf.
Les trois derniers morceaux sont plus conventionnels, dans la tradition de ce à quoi le groupe nous a habitués : un folk électrisé assez quelconque ('4.W.D'), un instrumental à la flûte, 'The Pine Marten's Jig', petit frère de 'Bourée' moins gâté par la nature, et une ballade accrocheuse, 'And Further On' qui finit bien l'album.
Jethro Tull a pris un risque en s'éloignant de son terrain de jeu habituel. Celui-ci s'avère payant : sortant de la monotonie dans laquelle les deux dernières productions nous avaient plongés, "A" nous offre un agréable assortiment de chansons vivifiantes avec deux, trois très belles réussites.