Le Maestro du Rock progressif parallèle (comment définir autrement la substance insaisissable de sa musique ?), décidément, prend goût à l’imagerie conceptuelle épurée et aux fréquentations symphoniques; aussi et surtout, il persévère dans son insatiable soif de réécriture, comme pour mettre au jour, méticuleusement, chacune des faces cachées que pourrait receler une pensée musicale. Après l’improbable "Scratch My Back" voilà qu’il s’attaque, à peine deux ans plus tard, à réinventer son propre répertoire. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne fait pas les choses à moitié : ce nouveau projet s’étend du légendaire 'Solsbury Hill' au psychotique et contemporain 'Darkness', en passant par les phases intermédiaires des 'Red Rain', 'Don’t Give Up' ou encore 'Digging In The Dirt'.
Cette fois, c’est le New Blood Orchestra, mis à l’honneur donc, qui s’octroie la délicate et prestigieuse tâche de revêtir les compositions du Gab’. Délicate, car la broderie acoustique qu’il exige est semblable à celle déjà confectionnée pour "Scratch My Back", c’est-à-dire qu’elle doit relever du plus haut savoir-faire en la matière. Mais ne vous y trompez pas, contrairement à l’album précédent, "New Blood" est aussi éthéré que tonitruant : ce qui saute immédiatement aux oreilles, c’est l’énorme dynamique employée ici par le Maître (orchestration oblige…). Aussi bien au cœur même des compositions, que d’un morceau à l’autre; comme en atteste d’emblée la folie psychédélique de 'Rhythm Of The Heat' (sur le final), immédiatement suivie des limbes ensommeillés sur l’entame de 'Downside Up'. Oubliez donc le baladeur dans les bruyants transports en commun, ou les vains efforts de votre autoradio, malmenés par le chahut de vos trajets du quotidien. Vous l’avez compris, ce qu’il faut pour apprécier cette nouvelle sève vitale à sa juste valeur, c’est un cocon de quiétude et votre meilleur système de reproduction musicale.
Fidèle à la même devise que celle de "Scratch My Back", ni guitare, ni batterie donc, mais la pléthore d’instruments de l’orchestre philharmonique impliqué, de la flûte piccolo jusqu’au tuba, du piano jusqu’aux cordes symphoniques, avec une section rythmique entièrement réinventée, le tout sous la direction de Ben Foster. Et il est vrai que le résultat flirte avec le grandiose; comment ne pas être émerveillé, entre autres choses, par l’envolée des violons de 'Wallflower', ou les élans festifs des cuivres magnifiant le final de 'Solsbury Hill' ?
Pourtant, "New Blood" n’a pas tout à fait la même valeur ajoutée que celle de son prédécesseur. Si celui-ci pouvait se targuer d’une interprétation transcendant le potentiel émotionnel des morceaux repris, il émane de cette relecture de Peter Gabriel par lui-même une vague impression d’anesthésie cérébrale. Les instruments se substituant à certains passages chantés sur les originaux ne procurent pas toujours d’alternative réellement productive, et la voix de Peter perd beaucoup de la dimension écorchée vive qu’on lui connaît, autant dans les registres étouffés que dans les exubérants. Tout se passe comme si notre homme craignait de griffer le tapis satiné déroulé par l’orchestre sous ses vocalises. De la sorte, on ne retrouve plus le vertigineux mordant gabriellien sur des compositions telles que 'San Jacinto', 'Intruder', 'Darkness' ou 'Digging In The Dirt'. Certains choix vocaux annexes également peuvent être critiqués, comme la répartie féminine de 'Don’t Give Up' (Ane Brun), qui semble abruptement tronquer sa prestation (Don’t Give…, le Up s’étranglant de manière peu harmonique).
En dépit de ces regrets, pas question de passer à côté de cette flamboyante révision symphonique, millimétrée à la perfection; et pour les inconditionnels du Gab’, il est même possible d’opter pour l’édition spéciale, embarquant un deuxième CD entièrement instrumental, voire même pour le DVD ou le Blu-ray du concert, "New Blood Live In London". Peter est un artiste qui ne perd pas de temps; qu’on se le dise!