Dieu que l'histoire de Daymoon est complexe ! Créé au début des années 80, ce groupe portugais se sépare rapidement faute de succès. Seul Fred Lessing, compositeur, chanteur et multi-instrumentiste, continue à y croire et sort trois albums solos sous le nom de Daymoon (disponibles uniquement en téléchargement) entre 1998 et 2002. Puis il met sept ans à composer son quatrième album "All Tomorrows" pour lequel il invite pléthore de musiciens locaux et internationaux (nous y reviendrons). Entre-temps, il rencontre Andy Tillison (The Tangent) qui propose ses services pour mixer et produire l'album qui, après sa version numérique, sort enfin sur un support physique en 2012.
Outre Andy Tillison, Fred Lessing s'entoure d'un certain nombre de figures du rock progressif, tels Mats Johansson du groupe suédois Isildurs Bane, ou Hugo Flores de Factory of Dreams pour ne citer que les plus célèbres. A côté, un nombre impressionnant de musiciens cosmopolites participent à l'album dont sa femme, Inês, pour une courte apparition sur le dernier titre, et à qui cet album est dédié, celle-ci souffrant d'un cancer.
Une belle et triste histoire d'amour, des invités prestigieux et une multiplicité d'intervenants ne sont pas forcément gage de réussite. Les bons sentiments et les qualités techniques ne suffisent pas à faire de bons albums, encore faut-il qu'il y ait une étincelle magique, une alchimie particulière pour contribuer à la création d'un disque digne d'intérêt. Sans conteste, "All Tomorrows" fait partie de ces œuvres touchées par la grâce qui s'imposent sans artifice, sans grandiloquence, par leur humilité et leur humanité.
Sans avoir l'air d'y toucher, Fred Lessing nous emmène dans un univers mélancolique, aux mélodies complexes, sophistiquées et cependant tellement émouvantes, d'une richesse et d'une diversité telles que chaque nouvelle écoute permet de découvrir des facettes jusqu'alors ignorées. Humble jusqu'à se décrire lui-même comme un musicien amateur et un piètre chanteur, Fred se révèle un multi-instrumentiste talentueux, mais surtout un compositeur inspiré. Certaines influences sont sensibles, tels Pink Floyd dans sa période la plus psychédélique, Soft Machine, Steve Unruh, King Crimson, Caravan ou encore Hatfield And The North. Mais toutes sont astucieusement digérées et restituées sous forme d'un rock psychédélique moderne, inventif, délicat et chatoyant. Quant au chant, il est évident que Fred ne fera pas d'ombre à Pavarotti. Mais son timbre fragile et désabusé est d'une redoutable efficacité pour vous plonger dans une mélancolie rêveuse, et quand il détone volontairement, il frôle la folie douce d'un Syd Barrett revenu des limbes pour nous hanter.
Passés les deux premiers morceaux (le titre éponyme dont les chœurs rappellent Queen et qui se termine sur une parodie de 'La Veuve Joyeuse' de Franz Lehar et 'TranscendenZ', un instrumental légèrement dissonant), en complet décalage de ce qui suit, l'album enchaine les changements de tempo, d'atmosphères, passant du psychédélisme britannique des années 60 ('Marrakech', 'Sorry') à des musiques du Moyen Orient, ou évoquant "The Wall" ('News From the Outside'), multipliant les instruments (claviers, guitares, percussions, flûte, saxophone, clarinette, bugle, …) qui loin de s'étouffer les uns les autres viennent enrichir de leur contribution des mélodies inspirées, en gardant toujours une homogénéité à l'ensemble tout en prodiguant une palette très diversifiée de sensations.
"All Tomorrows" ne contient pas de titre calibré pour faire un tube. C'est une œuvre complexe, foisonnante mais très mélodique, chargée d'émotions, de saveurs, qui plaira autant aux amateurs de bizarreries musicales et aux nostalgiques des groupes psychédéliques des années 60/70 qu'à tous ceux qui apprécient les musiques délicates et emplies de sensibilité. Un grand disque de rétro-progressif. Alors, laissez-vous tenter, en plus c'est pour une bonne cause.