Musicien relativement inconnu, le multi-instrumentiste Colin Masson (guitares, claviers, basse, flûtes, percussion, trombone, etc.) est l'un des membres fondateurs et le principal compositeur de The Morrigan, groupe anglais de rock progressif aux tendances folk, qui a sorti cinq albums entre 1987 et 2002. Masson lui-même avait enchanté la critique du petit monde du prog avec son premier opus solo, "Isle of Eight" en 2001. Très discret pendant pas mal d'années, il récidivera en 2010 avec le splendide "The Mad Monk And The Mountain". Ne vivant pas de sa musique, comme la plupart des musiciens de rock progressif, Masson n'est guère prolixe. Néanmoins, moins de deux ans plus tard, voici que nous arrive ce "The Southern Cross".
En fait, l'album, bien qu'il ait été enregistré ou ré-enregistré en partie récemment, est basé sur une majorité de musiques déjà anciennes mais qui, de l'avis du musicien, ont bien résisté à l'épreuve du temps. Masson explique qu'il avait l'idée de faire un album concept à l'époque ! Il y a peu de chant ici, mais quand même davantage que sur les deux albums solo précédents. Les parties vocales sont assurées soit par Masson lui-même, soit par Cathy Alexander, claviériste et chanteuse dans The Morrigan (et Madame Masson à la ville). Pas de batterie mais quelques programmations convaincantes et des percussions, ce qui n'empêche pas cet album d'avoir une composante rythmique, mais pas dans le style rock habituel.
Le disque est constitué de deux grandes parties séparées par l'amusant "Interlude In Moon Cycles" où Masson évoque la belle époque du LP avec ses deux faces ! Si le début est un folk rock chanté en choeur, façon "chant de marin" au ton légèrement menaçant, le reste laisse souvent une large place aux parties instrumentales, quand il ne s'agit pas de morceaux totalement instrumentaux.
"Sails of silver" est un morceau progressif symphonique aux multiples parties. Le "couplet" contient de belles orchestrations de claviers (cordes et chœurs de mellotron en tête), guitares classique et électrique, une mélodie émouvante chantée par la voix médium un peu fragile de Colin. Mais le morceau, largement instrumental, recèle aussi des passages rapides et dynamiques où la guitare électrique évoque fortement le son plaintif et le style lyrique de Mike Oldfield, une inspiration majeure pour de Masson depuis toujours (mais plus particulièrement audible sur ses albums solos), qui est lui-même un guitariste très compétent.
"Wreckers" préfigure l'album des Morrigan du même titre en 1996 mais cette version est deux fois plus longue et plus complexe, avec une première partie chantée de manière dramatique par Cathy Alexander qui laisse place à une section instrumentale orchestrale. "South Australia" reprend un bout du texte d'une chanson de marins traditionnelle mais cette longue variation n'a rien de commun avec le morceau des Morrigan sur "Hidden Agenda" sur le plan musical, passant vite d'une tonalité folk à une ambiance symphonique et rock.
Les amateurs de progressif aiment les grandes suites mais il existe des pièces courtes qui valent de grands développements. "Compass Rose" est l'un de ces moments de grâce, un solo de guitare cristalline poignant sur fond de synthétiseurs vaporeux. Masson surprend avec "The Heart Of The Machine" une chanson plus ou moins hard rock, du moins au niveau du son de guitare, même si le chant reste très modéré.
Surprise encore avec le titre suivant, "Ocean of Storms" longue suite aux motifs de guitares et de claviers répétitifs, avec des vocalises féminines (presque africaines !), qui rappelle vaguement l'école berlinoise des années 70… Et de fait, Masson avoue son admiration pour le Tangerine Dream de cette époque ! J'aurais plus volontiers mentionné Klaus Schulze et Ash Ra Tempel. De toute façon, on y voit aussi bien d'autres éléments, folk et classiques, car le multi-instrumentiste est d'un éclectisme peu commun.
Le morceau éponyme de l'album est sans doute son sommet, une suite d'un quart d'heure qui s'enchaine logiquement avec le morceau précédent grâce à son motif répétitif de guitare électrique, rappelant au début le Mike Oldfield des années 70, dont l'influence refera surface à plusieurs reprises. Le style devient tour à tour plus symphonique, aux relents classiques, folk et rock (des guitares bien tranchantes par moments) avant de s'achever sur un final lyrique. Nous avons affaire à un mélange très personnel qui rappelle les excellents "Isle of Eight" et "The Mad Monk And The Mountain", sans toutefois les égaler. Rappelons néanmoins qu'il s 'agit en quelque sorte d'oeuvres de jeunesse sur ce CD, et l'ensemble de ce disque reste d'un très bon niveau.
En conclusion, il aurait été vraiment dommage que ces morceaux restent un an de plus dans les réserves de Colin Masson, un musicien ambitieux doté d'une imagination très fertile et dont le talent pour fusionner intelligemment ses multiples influences n'est pas si fréquent, y compris dans le rock progressif ! Colin vend ses albums en direct sur son site ainsi que celui de "The Morrigan" (avec ceux de son groupe) et il mérite bien votre support !