Autant l'annoncer d'entrée de jeu : la première écoute de "Masquerade", dernier album en date du groupe italien Goad, ne laisse pas indifférent. Imaginez un subtil mélange de Van der Graaf Generator pour la noirceur des compositions, d'Alice Cooper première période pour l'aspect malsain et ironique, et de King Crimson pour les discordances expérimentales et vous aurez une idée de la musique délivrée par le combo.
Avec un tel cocktail, Goad n'a pas choisi la voie de la facilité et "Masquerade" ne donne pas exactement dans la catégorie relaxation. La musique est âpre, exigeante et ne se livre que par bribes au fil d'écoutes répétées. Loin des mélodies faciles, elle diffuse au contraire une tenace sensation de malaise et d'angoisse, comme une impression de déambuler dans un monde de cauchemar peuplé d'êtres malfaisants et distordus. La responsabilité en revient en partie au leader charismatique, Maurilio Rossi, dont la voix très particulière, nasillarde et agressive, sait se charger d'accents méprisants et narquois. Entre vociférations et vaticinations, son interprétation théâtrale et habitée, qui n'est pas sans rappeler par moment Christian Descamps ou Daniel Gildenlow, donne vie aux différents titres et distille son poison, générant un indicible sentiment de malaise. Et quand le chant se calme, pas question de sérénité : c'est soit le spleen d'un Robert Wyatt dépressif ('Valley Of Unrest') soit la folie douce d'un Syd Barrett ('Last Knowledge') qui nous saisit à la gorge. Maurilio Rossi est le type même de l'interprète qu'on déteste ou qu'on adule. La voix grasseyante, parfois forcée, n'est pas transcendante, mais sa prestation généreuse et visiblement sincère procure âme et grandeur à ce disque.
Si le chant est incontestablement un point fort (ou faible, c'est selon les goûts) de Goad, la musique qui lui donne la réplique est loin d'être fade et ne se contente pas de jouer les utilités. Expressive et dynamique, mais sachant faire preuve de retenue quand il le faut, elle s'appuie sur les claviers de Maurilio Rossi qui rappellent furieusement ceux d'Hugh Banton. Seul instrument contestant leur suprématie, la guitare de Giani Rossi, le frère de Maurilio, souvent agressive ('Fever Called Living', 'Eldorado'), parfois enjôleuse ('Alone', 'Intro'), engage le combat ou joue en symbiose, selon les morceaux. La rythmique est également très présente, pas moins de six batteurs se succédant aux baguettes, et Louis Magnanimo sait faire ronfler sa basse avec vélocité (admirable démonstration sur 'Slave Of The Holy Mountain'). Enfin Francesco Diddi enjolive les titres des ses nombreuses interventions au sax, à la flûte et au violon, entre interprétations mélodieuses et stridences maitrisées.
L'album est un concentré d'énergie et, tout en étant très homogène, fait preuve d'une diversité qui tient l'auditeur en haleine, alternant titres forts et doux, passages chantés et instrumentaux, harmonies et discordances. Difficile de rester indifférent aux sonorités maléfiques de 'Fever Called Living', à la folie latente de 'Last Knowledge', à la mélancolie de 'Valley Of Unrest', au désespoir de 'To Helen' ou au romantisme d'Alone'. 'Slave Of The Holy Mountain', presque primesautier au début, est finalement aussi rassurant qu'une promenade dans un cimetière abandonné un soir de tempête. La suite 'Masquerade (With Dance Macabre)' quant à elle, déroule ses volutes alambiquées, distordues, lugubres, où la voix poisseuse et l'orgue sépulcral de Maurilio Rossi font encore merveille.
Atypique et dérangeant, sûrement. Lugubre et dérangé, assurément. Original et personnel, indubitablement. Sur les fêtes foraines, vous préférez le train fantôme au grand huit ? La maison hantée est votre attraction favorite à Disneyland ? Les cimetières vous semblent romantiques ? Vous adorez 'Les Noces Funèbres' de Tim Burton ? Alors les atmosphères délétères de Goad devraient vous combler.