Gran Turismo Veloce (GTV pour les intimes) est un nouveau groupe de RPI (rock progressif italien) qui depuis sa création en 2008 n'avait jusqu'alors à son actif qu'un EP, "In un solo brivido". De son propre aveu, le groupe préfère d'ailleurs à l'étiquette "rock progressif" celle de "groupe de rock complexe". L'histoire ne dit pas si c'est le groupe ou le rock qui est complexe ! Toujours est-il que cette drôle de formation qui semble posséder une bonne dose d'humour nous offre avec "Di Carne, Di Anima" un album d'une fraicheur, d'une poésie et d'une inventivité enthousiasmantes.
Après une courte introduction sur des sons et une voix sortie de nulle part, les choses sérieuses commencent avec 'Sorgente Sonora' qui donne immédiatement le ton : sous les atours d'une simple chanson, une très belle mélodie se développe autour de la basse servant d'épine dorsale, alternant douceur et violence en se démarquant d'une structure classique couplet/refrain, se permettant même une petite fantaisie façon tango argentin à l'accordéon. Le chant en italien donne une saveur qu'on est libre d'apprécier ou pas. Encore timide sur ce premier titre, il prend une toute autre ampleur sur 'Misera Venere', sachant se faire poignant et implorant. La basse toujours aussi dynamique rebondit sur le mellotron et l'orgue Hammond avant que chaque instrument ne s'invite de manière éparpillée, mais toujours avec délicatesse et harmonie.
Il y a un côté décalé, un peu rétro, mais très raffiné et très recherché dans cette musique qui joue beaucoup et avec brio sur la confrontation entre calme et fureur, minimalisme et ampleur. Les nombreux développements musicaux se fondent parfaitement, l'auditeur n'est jamais perdu, le plaisir est toujours là. 'L'Artista', 'L'Estremo Viaggiatore' et la reprise de 'Misera Venere' rééditent l'exploit de faire de ces titres courts de grands morceaux de rock progressif, n'en déplaise à GTV. Seul morceau à dépasser les sept minutes, l'instrumental 'Quantocamia' est constitué d'une succession de thèmes variés aux transitions plus abruptes que sur les autres chansons, enchainant boucles sonores, délicates nappes d'orgues, solos de guitare et de basse, ou encore free jazz. Un titre démonstratif qui permet à chaque musicien de se mettre en valeur à tour de rôle.
'La Paura' quant à elle, à l'apparente légèreté rappelant Angelo Branduardi (le chant italien y est surement pour quelque chose), revêt l'apparence d'une ritournelle doucement chantée, où le fond sonore musical invente en permanence des textures variées, harmonieuses, surprenantes, transformant ce qui aurait pu être une chanson quelconque en un titre plein de charme. Enfin, après une trompeuse atmosphère apaisée et romantique, 'L'Indice e l'Occhio' se transforme en une sorte de folle valse à quatre temps, un tourbillon détraqué qui s'interrompt sur un subit accord de piano. Après un blanc de deux minutes, la musique revient en fading in pour une savoureuse improvisation de saxophone sur soyeuses nappes d'orgue avant de s'estomper.
Poétique, inventif, empli de petits détails sonores en arrière-plan qui viennent titiller l'oreille, l'univers des italiens est tour à tour pastoral et reposant, inquiétant, ou même quasi métal. En moins de cinq minutes, GTV dépasse le cadre de la simple chanson, sans artifice, avec une sensibilité et une inventivité remarquables et leur musique évolue dans une telle harmonie qu'on en vient vite à regretter que le plaisir soit si court, que le morceau soit déjà fini. Mais c'est probablement là la marque de véritables artistes, privilégiant la qualité à la quantité, sachant s'arrêter en donnant l'impression que c'est trop tôt, créant ainsi un phénomène de dépendance. Avec "Di Carne, Di Anima", Gran Turismo Veloce réalise un magnifique album, personnel, raffiné, sensible, à l'impeccable interprétation tout en finesse. Un seul mot vient alors aux lèvres : Bravissimo.