Mawwal, alias Jim Matus aux commandes de la composition, chant, guitare acoustique et luth, Joe O’Brien à la basse, Nur Habib côté batterie et percussions, et Jill O’Brien en renfort aux chœurs et au chant, poursuit inlassablement son voyage spirituel à travers les steppes méditatives ou ésotériques de la musique du monde.
Inlassablement, mais non sans innovation ni clairvoyance : alors que l’opus précédent affichait sa préférence pour les atmosphères maghrébines et nord-africaines, "Sight Up" nous emmène plus volontiers vers les arcanes des mondes orientaux. Tout au moins, ses couleurs tonales nous le laissent supposer, mais les racines de cette musique embrassent sans aucun doute un univers encore plus vaste.
A priori, le chant est placé au centre de la composition, mais il faut d’emblée signaler que le maillage de l’instrumentation (majoritairement acoustique, pour rappel) est si serré et si dense que la musicalité de l’ensemble dépasse de loin le potentiel d’une écriture tribale, ou qui serait seulement construite sur le socle de rituels ethniques. Les mélodies ne sont jamais pleinement affirmées, plausiblement basées sur un certain dosage d’improvisation, et pourtant Mawwal parvient à signer un nouveau projet qui semble parfaitement maîtrisé dans sa progression narrative et harmonique.
De fait, l’album débute par des ambiances incantatoires aux vocalises multiples, mais jamais arides et même plutôt enjouées, poussant la fantaisie jusqu’à l’utilisation de petites touches de cuivres (inhabituels dans le genre), avant de libérer l’inspiration de la composition qui s’exprime avec beaucoup de minutie en seconde partie.
En termes très succincts, 'I Mute The Burning River' est une sorte de cérémonie initiatique, s’appuyant sur des percussions tribales effacées mais entêtantes. 'Happy On Your Feet Go' et 'Rag Yamen' choisissent de mettre à l’honneur les circonvolutions de la flûte orientale, dont le timbre à lui seul est un ferment d’hypnose spirituelle. Sur le premier, le déclenchement des hostilités vocales, en formes d’onomatopées guerrières, produit aussi son petit effet. 'Early In The Morning' de son côté s’élève en une prière croisant des accents d’espoir et de résignation, où cordes et percussions s’entremêlent et se relaient au bénéfice d’une étonnante rythmique-écrin.
Il y a un souffle Gabriellien en tout cela, certes débarrassé de ses atours rock, mais bien présent dans la méthode, une certaine façon d’induire l’émotion par des chemins transversaux et détournés.
La notation chiffrée, en demi teinte, ne doit pas être interprétée en dissociation de la chronique. Elle se justifie surtout par la mise en garde sur les prérequis de sensibilité; le public de "Sight Up" ne peut être qu’un public avisé. Malgré sa relative facilité d’accès en façade, la musique de Mawwal sera difficilement appréciée à sa juste valeur par l’auditorat majoritaire, tant elle est complexe sur le plan de l’hybridation des origines. Nombreux seront ceux pour qui le mélange se révélera confus, voire atonique. Et pourtant, si vous savez correctement accorder votre tuner cérébral sur la longueur d’onde conceptuelle de Jim Matus, vous découvrirez un long fleuve de sereine émotion derrière cet album.