En 1985, nos Australiens s’accordent un break que l’on pourrait qualifier de discutable, artistiquement et conceptuellement parlant. D’abord, parce qu’il renoue avec le format de l’EP (4 titres, pour une durée d’environ un quart d’heure), que l’on croyait révolu pour Midnight Oil, après l’inspiration fleuve des deux réussites précédentes. Ensuite, parce que ce Species Deceases est coincé entre l’une d’entre elles, Red Sails In The Sunset, et un nouveau chef-d’œuvre à paraître peu de temps après, Diesel And Dust. Enfin, parce que la forme musicale adoptée par ce deuxième EP nous ramène directement vers l’époque de l’aridité harmonique des 4 premières parutions, révisée il est vrai par une production plus moderniste (de nouveau, l’esprit est ouvertement punk, mais la sonorité n’a plus guère la dimension de Garage rock).
Ce retour aux sources est d’autant plus surprenant qu’il semble ne plus recéler aucune trace du piment que la bande de Peter Garrett a employé pour épicer ses plats depuis les débuts, avec un dosage plus ou moins conséquent selon les opus. En tout cas, oubliez toute référence aux subtilités du monumental Red Sails In The Sunset. Ici, la guitare rythmique se contente essentiellement d’accompagner la batterie, au pas de charge de la plage n°1 à la n°4, pendant que Peter étale inlassablement ses vocalises sentencieuses et aiguisées au-dessus de ce tissage rock radicalisé.
D’un point de vue sémantique, Midnight Oil reste fidèle à ses engagements (le titre de l’opus ne peut pas être plus évocateur) : Progress entend dénoncer les méfaits de la société moderne, une fois de plus; Hercules renchérit en ciblant plus particulièrement les dangers de la technologie nucléaire - l’un des pamphlets favoris de la formation, Blossom And Blood plaide contre la guerre, et Pictures synthétise le tout en s’érigeant comme un refus du déclin de l’humanité. On le voit, si la régression purement musicale a de quoi drainer quelques déceptions, il est difficile de prendre à défaut la consistance et la persistance idéologiques que nos Australiens portent à leurs compositions avec une indéfectible ferveur.
Alors oui, la griffe de Midnight Oil est toujours là, et bien là. On ne peut pas passer sous silence les élans épiques emmenés par Hercules, ou le côté entêtant de Blossom And Blood. Mais après les coups d’éclat de l’album du "décompte" et de Red Sails In The Sunset, le verdict ici ne peut être que sévère. Disons que pour le fan inconditionnel de 1985, Species Deceases aura eu le mérite de faire patienter jusqu’à la sortie de Diesel And Dust. En revanche, pour l’auditeur découvrant l’œuvre rétrospectivement, l’anecdote n’a guère d’intérêt.