En 1991, Jethro Tull a inventé la machine à remonter le temps. Du moins, c'est la curieuse (et agréable) impression que l'on retire à l'écoute de leur nouvel opus, "Catfish Rising", qui nous renvoie vingt ans en arrière à l'époque de "Stand Up" et autres "Benefit".
Il semblerait que le groupe, frappé de la malédiction des années 80, se soit enfin départi de ses hésitations et maniérismes qui avaient trop peuplé leurs derniers albums, de l'insipide "Broadsword And The Beast" au fade "Rock Island", en passant par le trop lisse "Crest Of A Knave" et l'épouvantable "Under Wraps", pour revenir à un rock teinté de blues épuré et direct. On retrouve tous les ingrédients qui constituent la marque de fabrique du Tull : les riffs de Martin Barre, les volutes guerrières de la flûte de Ian Anderson et surtout (on n'y croyait plus), le timbre nasillard et moqueur du maître. Souffrant des cordes vocales depuis plusieurs années et ayant du subir une opération, Ian Anderson n'apportait plus à ses interventions le charisme qu'on lui avait connu dans les années 70. Manquant d'ampleur avant l'opération, sa voix était devenue étonnamment neutre après celle-ci. Réjouissez-vous, à de rares exceptions ('White Innocence'), Ian Anderson a retrouvé sa gouaille et son allant, transformant de simples chansons en purs moments de jubilation.
Tout au bonheur d'avoir retrouvé son leader, le groupe donne l'impression de s'amuser et c'est tant mieux. Les titres sont joués avec naturel, spontanéité, légèreté et le plaisir est partagé avec l'auditeur, un plaisir simple et épidermique. Pas de prise de tête, le pied bat la mesure d'instinct et les intonations comiques du chanteur invitent au sourire béat. 'This Is Not Love', 'Occasional Demons', 'Rocks On The Road', 'Doctor To My Disease' ou encore 'Sleeping With The Dog', pour ne citer qu'eux, n'ont pas d'autre ambition que de nous faire passer un agréable moment et ils y réussissent bien. 'Still Loving You Tonight' monte même d'un cran, un superbe slow chargé d'amertume, rappelant un vieux Led Zep avec des passages de guitare qui filent le frisson.
Cependant, malgré toutes ces belles dispositions, "Catfish Rising" n'est pourtant pas un album exceptionnel. Chaque composition est agréable mais ne contient pas de quoi déchainer un enthousiasme exubérant. Par ailleurs, l'ensemble est trop homogène, tous les titres finissant par se ressembler tant leurs styles, leurs tempos, leurs interprétations sont proches. Chacun pris individuellement est intéressant, mais quinze enfilés à la queue-leu-leu, c'est long !
Jethro Tull aurait peut-être du suivre l'avis de Peter Hammill qui situe le seuil de l'attention humaine à 45 minutes et limite la durée de ses albums à cette aune. L'effet d'essoufflement ressenti sur les derniers titres de "Catfish Rising" aurait probablement été estompé. Néanmoins, si ce disque peut souffrir de la comparaison avec certaines productions plus prestigieuses du groupe, il demeure intrinsèquement un album de bonne compagnie.