Conçu à la base comme le projet solo du claviériste Carlos Plaza, Kotebel acquiert son statut de groupe à part entière avec son quatrième et magnifique album "Omphalos". L'album suivant, "Ouroboros", consacre le départ de deux membres importants du groupe, le flûtiste Omar Acosta, et surtout la soprano Carolina Prieto dont les interventions lumineuses nimbaient d'une douceur angélique les productions précédentes. Bien que d'une grande qualité technique, "Ouroboros" apparaît comme une œuvre heurtée et hermétique, ne livrant ses charmes qu'avec parcimonie. Dans ce contexte, la sortie de ce sixième opus a de quoi inquiéter quand un coup d'œil au line-up confirme qu'il demeure inchangé depuis "Ouroboros".
"Concerto For Piano And Electric Ensemble" est un album entièrement instrumental découpé en deux parties distinctes. La première moitié du disque est consacrée aux quatre morceaux constituant les quatre mouvements du concerto. Comme son titre pouvait le laisser présager, le concerto s'inspire des canons de la musique classique. Kotebel baptise donc simplement chacun de ces mouvements du nom de leur vitesse d'exécution et de leur interprétation. Le premier sera calme et majestueux, le second lent et chantant, le troisième vif et badin, le dernier modérément rapide. Comme pour un concerto classique, les instruments solistes, tour à tour piano, guitare électrique et orgue, s'opposent à "l'orchestre" batterie/basse/claviers/guitares. Mais, si la musique est d'une grande complexité, le parallèle avec la musique classique s'arrête là. Chaque mouvement débute bien dans le tempo et le style indiqués par son nom mais s'en affranchit vite, accélérant ou ralentissant à l'envi. Et si certains thèmes s'inspirent des périodes romantique ou plus contemporaine du classique, d'autres puisent leur inspiration dans le jazz, le rock progressif, l'avant-gardisme et la musique sud-américaine. 'Concerto For Piano And Electric Ensemble' est enregistré en une seule prise dans des conditions live et l'album est complété d'un DVD restituant ces séances d'enregistrement. C'est la jeune sœur de Carlos Plaza, Adriana, qui officie au piano en virtuose.
La seconde moitié de l'album est également constituée de quatre titres jouant dans l'esprit de Carlos Plaza le rôle de contrepoids à l'académisme du concerto. Moins unifiée, plus disparate que dans celui-ci, la musique oscille entre moments discordants et agressifs ('The Flight Of The Hipogriff (Part 1)' dont l'ambiance sombre et torturée rappelle VDGG, les stridences désespérées du sax y étant pour beaucoup, 'The Infant' très King Crimson expérimental ou Art Zoyd, digne successeur d'"Ouroboros"), et curieux mélange de sonorités orientales et vagues atmosphériques ('Dance Of Shiva' alternant des percussions inspirées des gamelans de Bali et des plages de synthés fantomatiques sonnant comme le "Babel" de Klaus Schulze).
Kotebel nous berce ainsi tout au long de cet album de sa musique impressionniste aux multiples variations, raffinée, intelligente, complexe. Comme pour mieux apprécier une toile impressionniste, il faut s'éloigner afin que les détails flous et difformes se fondent dans un ensemble d'où vont se dégager les sentiments qui nous transportent, les émotions qui nous submergent à l'écoute de ces entrelacs de mélodies syncopées, parfois disgracieuses, qui s'interrompent brutalement pour laisser place à de purs moments de poésie.
Servi par des musiciens talentueux et une production très claire, "Concerto For Piano And Electric Ensemble" évite l'austérité d'un "Ouroboros" tout en restant inventif et en perpétuel mouvement. Pour peu qu'on veuille bien lui prêter toute l'attention qu'elle mérite, la musique que Kotebel nous offre n'est pas aussi difficile à apprivoiser qu'elle en a l'air.