Après trois albums studios et une longue tournée à travers l'Europe, "Bascule A Vif" est le premier double album live de Jack Dupon enregistré en octobre dernier à Clermont-Ferrand, reprenant trois titres de "L'Echelle Du Désir" et l'intégralité à un titre près de leur dernier disque studio "Démon Hardi", paru en 2011.
Le premier contact avec l'univers de Jack Dupon peut s'avérer perturbant. Les mélodies tantôt très répétitives, tantôt tellement évolutives qu'elles s'apparentent à de longues digressions improvisées et l'utilisation très particulière des parties vocales laissent une impression de joyeux capharnaüm, à tel point que l'on finit par se demander si on n'est pas en train d'écouter une bande de potaches s'amusant à pousser des cris d'orfraie sur des sons distordus. Pourtant, rester sur cette impression serait d'une grande injustice et une écoute plus attentive permet de mieux apprécier la créativité de la musique qui nous est proposée.
Comme base à la plupart de leurs morceaux, Jack Dupon s'appuie sur des boucles hypnotiques de guitares répétées à l'envi sur des riffs souvent agressifs, d'où s'échappent par moments de longs solos doux et mélodieux ('Le Château De L'Eléphant', 'Jeudi (de) Poisson', 'La Trilogie Des Mouches'), avec des parties de basse somptueuses ('Le Labyrinthe Du Cochon', 'Oppression, Dépression, Les Valeurs Du Cool'). La musique est un mélange de progressif, d'expérimental et de jazz-rock avec une pointe de zeuhl, aux transitions abruptes, alternant passages doux et plus violents, voire martiaux, envolées lyriques et scies répétitives. L'ensemble dégage un sentiment d'insécurité, de malaise, d'angoisse latente, d'où émerge parfois inopinément une fantaisie légère et réjouissante.
Bien que très largement instrumental, l'album réserve des parties vocales assez étonnantes. Les passages chantés sont en effet tous empreints d'une folie parfois douce, parfois inquiétante. Les voix sont délibérément caricaturales, une manière de faire oublier leur manque d'ampleur. Imaginez un melting-pot de Christian Vander (Magma), des Frères Jacques, de Dominique Le Guennec (Mona Lisa) et de Richard Gotainer et vous aurez une vague idée du résultat délirant auquel s'attendre. 'La Cousine Du Grand Mongol' en est le meilleur exemple, avec ses cinq premières minutes chantées en partie a capella sous forme de comptine idiote, mélangeant les chansons de notre enfance à des textes anglais. C'est original, divertissant et drôle.
Avec "Bascule A Vif", Jack Dupon propose un cocktail qui n'est pas forcément digeste, mais personnel, gonflé et apte à procurer de vrais moments de plaisir et d'amusement. L'intérêt de l'auditeur dépendra de sa capacité à tenir la distance à l'écoute de cette musique exigeant une bonne dose de concentration et de sa faculté d'adaptation face à l'alternance de vocaux absurdes et de mélodies corrosives. Un disque qui ne plaira sans doute pas à tout le monde, mais au caractère bien trempé.