Gekko Projekt est le groupe de Peter Matuchniak, autrement connu pour sa participation à Evolve IV et qui sort simultanément un album solo. Le matériel écrit pour Gekko Projekt est sensiblement plus progressif, fortement instrumental mais presque aussi varié que celui de son album solo, composé en majorité par le guitariste en collaboration avec le claviériste Vance Gloster qui assure les vocaux de sa voix médium assez claire et suave. Le groupe est complété de deux musiciens confirmés, Rick Meadows et Alan Smith, qui donnent une assise rythmique solide mais subtile au groupe.
Le premier morceau ressemble un peu au jazz rock moderne aux claviers spatiaux proposé par Camel sur "Lunar Sea", un style que l'on retrouve par la suite, avec une personnalité propre au groupe. Gekko Projekt possède aussi un petit côté américain, un rien folk/americana, comme sur "Black Hole" qui est chanté mais comporte une belle partie instrumentale avec un solo de moog et se termine avec une section au rythme reggae… un mélange pour le moins inédit !
L'album est aussi l'occasion d'entendre la technique de Matuchniak, plus enclin à se laisser aller dans parties solistes que sur son propre album (un comble !). Suivant les morceaux, notre homme rappelle tour à tour Steve Howe et Andy Latimer, parfois légèrement Steve Hackett, alternant une série de sons assez différents. Arpèges fluides, presque liquides, soli aériens ou plus rock, avec un son profond et épais comme Steve Howe, Matuchniak cumule des plans jazz rock avec des élans lyriques plus typiques du rock progressif, une dualité que l'on retrouve notamment chez le Camel des années 1975-1978. Même les morceaux chantés laissent une large place aux parties instrumentales, et concilient parfois des aspects assez différents comme cet "Avatar Jones", presque pop mais prolongé d'une seconde partie dont le solo de guitare lyrique sur fond de claviers lisses et amples donne une dimension bien différente au morceau, avant une conclusion plus jazz rock.
"Martian Sunrise" présente une facette plus calme, sans percussion, et cette merveilleuse rêverie mélancolique où la guitare plane parfois avec une virtuosité discrète au dessus d'un lit de piano électrique et de synthés est l'un des sommets du disque. Assez progressif encore, "October Skies" possède un temp moyen très appuyé avec quelques accélérations, une mélodie chantée accrocheuse où Gloster essaie de prendre un timbre un peu plus rugueux, ce qui n'est pas son registre. Là encore, le morceau change de registre avec une seconde partie tendue et un peu répétitive où les claviers prennent une couleur futuriste avant que la guitare ne perce la trame rythmique d'un bref solo, et que le thème chanté ne réapparaisse brièvement pour la conclusion.
Deux petits morceaux sont tous sauf négigeables mais auraient gagné à être plus développés : le plutôt jazzy "London Vibe" (que l'on retrouve dans une autre version sur l'album solo de Peter Machutniak) et "State of Siege" un morceau encore une fois proche de Camel qui mêle deux rythmes différents et où la guitare puis les claviers délivrent de beaux soli. L'album se termine par une reprise très courte et plus légère du morceau d'ouverture aux guitares fluides et aériennes… Et cette conclusion trop brève amène un petit regret : que l'album soit relativement bref et qu'aucun morceau ne se développe plus franchement, ce qui n'empêche pas l'ensemble d'avoir des structures progressives soi-dit en passant, mais on aurait bien aimé un côté un peu plus épique ici et là, ou tout simplement des parties solistes plus longues surtout que Peter Machutniak est un guitariste inspiré. Au moins, Gekko Projekt évite les longueurs et on ne pourra pas lui reprocher les "bavardages inutiles" imputés au genre par ses détracteurs !
"Electric Forest" semble de prime abord plaisant mais un peu anodin. Ce n'est qu'au fil d'écoutes plus attentives qu'il se révèle être un album aussi subtil qu'intéressant, à la croisée des chemins. Voici un disque qui sort des sentiers battus et rebattus du rock progressif traditionnel, exécuté de main de maitre par des musiciens très compétents, lesquels ne se sentent pas obligés d'en rajouter constamment. En un mot : rafraîchissant !