Avec un tel nom de groupe difficile de lire a priori le style musical exercé par les canadiens de Druckfarben. Les cinq musiciens à l’origine de cette formation se réclament de multiples influences, allant puiser dans le rock progressif des débuts comme dans le jazz-rock de la grande époque. Ce mélange éclectique explique autant les qualités techniques exceptionnelles du groupe que sa minutie portée à la mélodie.
Il est évident que le grand Yes hante cet album. Cette impression est renforcée par la ressemblance vocale entre Jon Anderson et Phil Naro, même si celui-ci est plus riche en médium, et par le fait que le groupe fut spécialiste des reprises de la bande à Steve Howe. Mais Druckfarben est bien plus exhaustif dans ses références et se double d’une originalité qui lui est propre, de part le mélange très réussi de sonorités des années 70 (les claviers notamment), la complexité du jazz rock (Dixie Dregs en tête) portée par les riffs d’Ed Bernhard et la brillance mélodique toute progressive des fondateurs du genre (de Gentle Giant à Rush), Druckfarben synthétise et dépasse un glorieux patrimoine.
La complexité technique qui s’exprime à l’occasion de nombreuses séquences instrumentales comme "ELPO" (quel clin d’œil !), "Influenza" ou "Smaller Wooden Frog" n’éclipse pas la très forte charge mélodique qui règne lors des refrains. Si toutes les compositions ont chacune un thème original et une ambiance à faire valoir, les sommets sont atteints à l’occasion de "Walk Away" aux accents Kansasiens, "Influenza" sorte d’hybride de rock et de country au refrain éclatant et surtout la dernière composition "Nonchalant". Ce titre plus posé et aux larges orientations folk est un écrin de finesse mêlant voix, violon, mandoline et débouchant sur une fin éthérée.
Rendons hommage aux musiciens avec deux coups de cœur. Le premier est pour le bassiste Peter Murray qui tient une place aussi important que son homologue guitariste. Ses lignes de basse sont amples et denses, proches du toucher des grands bassistes de jazz. Même remarque pour Ed Bernhard qui puise chez Al Di Meola (son solo sur "Dead Play Awake") et chez Steve Morse (le riff de "Influenza") l’essentiel de son toucher.
L’écoute de Druckfarben est un voyage très rafraichissant avec des références classiques éclatantes, une estampe propre aux canadiens et une vraie intelligence de composition. Druckfarben ne tombe jamais dans la surenchère étouffante et excelle à rendre son album dense et cohérent de bout en bout. Avec onze titres qui tiennent du travail d’orfèvre, Druckfarben signe là un des albums majeurs de cette année.