En l'espace de quelques années, Aun est devenu une des figures les plus passionnantes d'une scène Drone/Ambient où le meilleur (un peu) côtoie le pale suiveur (trop souvent). Et plus le temps passe, plus on mesure combien la mutation du projet, au départ simple laboratoire solitaire du canadien Martin Dumais, désormais hydre à deux têtes depuis que Julie LeBlanc, artiste visuel aussi bien que musicienne, l'a rejoint, lui a été bénéfique, gagnant en beauté ce qu'il n'a pourtant pas (tout à fait) perdu en puissance tellurique. A force de souligner par un kaléidoscope d'images (forcément) "lynchiennes", la jeune femme a contribué à donner aux effluves sonores tricotées par son compagnon, une dimension justement plus visuelle. Corolaire de cette évolution, le Drone forgé par Aun se délite de plus en plus, devenant une masse éthérée.
Voyant le jour chez Cyclic Law, promotion amplement méritée, Black Pyramid poursuit de fait cette trajectoire aussi bien artistique qu'esthétique, entamée avec Motorsleep et VII respectivement capturés en 2008 et 2009. L'édifice pyramidal flottant au milieu des nuage au centre de sa pochette, révèle très justement le contenu dont il est le brumeux écrin. Celui-ci suggère à la fois une élévation et une portée cosmique dont la musique se fait l'écho.
Loin de simples nappes Ambient accouplées avec des guitares Drone sans âme, Aun possède la capacité rare dans le genre de ne pas se contenter de miser sur la force sombre jaillissant des arcanes de la terre mais au contraire, à faire draper son art d'une beauté quasi-spectrale. Insaisissable ! A ce titre, "Black Pyramid" traduit bien cette qualité, longue pulsation cisaillée de crevasses électroniques dont on imagine sans peine les images qui pourraient les accompagner sur scène tant celles-ci revêtent une portée visionnaire et presque cinématique.
Atmosphérique, à l'image de "Phoenix", montée en puissance hypnotique et belle (le monumental "2095" qui grouille de sons teintés d'étrangeté) ou aux confins d'un Krautrock halluciné, comme l'illustre le terminal "Shining", crépusculaire organisme s'abîmant peu à peu dans une brume cotonneuse aux multiples couches saturées et palpitant au son ténébreux d'un pouls obsédant, Black Pyramid a quelque chose d'un derelict bicéphale à la fois sombre et vaporeux. Ce faisant, il confirme l'écrasante suprématie de ce projet qui réussit là où nombreux échouent car il transcende le genre, le travaille tel un matériau finalement plus malléable qu'il n'y parait. En un mot : immense !