Est-il encore nécessaire de présenter Peter Bjargö dont le nom se confond avec les légendaires Arcana, Sophia et dans une moindre mesure, Karjalan Sissit ? Sans doute pas. Comme il paraît inutile de préciser que sa présence est toujours un gage de qualité, l'homme transformant tout ce qu'il touche en une matière précieuse et noire. Alors que son principal port d'attache est entré dans une phase de demi sommeil depuis Raspail en 2008, toutefois interrompue par la somme The First Era 1996-2002 et le EP Emerald, le Suédois poursuit actuellement en solitaire une oeuvre toujours belle et exigeante.
Deux ans après A Wave Of Bitterness, premier essai qui touchait au divin, The Architecture Of Melancholy nous plonge au coeur même de l'âme de son auteur. Son titre et la photo de Peter adolescent figurant à l'intérieur du livret suggèrent en effet un disque extrêmement personnel. Le fait que celui-ci a été écrit, enregistré, interprété, mixé et masterisé par le seul Bjargö participe également d'une tonalité introspective pour le moins évidente. Autant de caractères certes déjà présents sur l'opus précédent mais qui accouchent cette fois-ci d'une création encore plus désenchantée, quand bien même la gaieté n'a jamais vraiment été le principal vecteur du travail du multi-instrumentiste, au contaire. C'est dire le désespoir profond que sécrètent ces courtes pulsations.
Nouant une proximité musicale très nette avec A Wave Of Bitterness dont il semble être le prolongement plutôt que la suite, The Architecure Of Melancholy affiche une construction à priori simple, certains motifs se voyant même (volontairement) repris par plusieurs morceaux (c'est le cas de "The Hidden Compass" et "The Death Of Our Sun"), comme pour souligner une lancinante tristesse qui tel le ressac revient inlassablement. Mais on reconnaît toujours le travail ciselé du Suédois dont l'art confine au travail d'orfèvre.
Car on ne saurait confondre simplicité et dépouillement. Ces respirations fourmillent en réalité d'arrangements et de détails discrets. Le squelettique "Bitteresque", qui ne vit que par un son d'harmonium et la voix spectrale de Peter, illustre parfaitement une écriture plus complexe qu'il n'y parait. Du titre éponyme à "The Death Of Our Sun", l'album enchaîne les plages belles à en pleurer, perles délicates ("A Wheel Of Thoughts"), toujours empreintes d'une mélancolie tranquille bien qu'absolue ("Apathy").
Immense et émotionnel, le chant du maître des lieux emporte tout, à l'image de "The Architecture Of Melancholy", qui porte toutes les sigmates et obsessions de ce dernier qu'accompagne la voix lointaine de Ida Bengtsson, laquelle colore le morceau d'une teinte forcément arcanienne. Puis, l'opus meurt lentement avec "Sleep Dep.Loop 1", dix minutes d'une noirceur crépusculaire, mortification ambient sublime et répétitive à l'extrême. Une nuit éternelle s'installe recouvrant la fin de l'écoute d'un linceul douloureux.
Plus qu'une banale collection de titres, cette seconde offrande en solitaire est un tout indivisible avec un début et une fin, suivant une trajectoire élaborée comme une seule et longue piste. Résultat : encore un chef d'oeuvre de la part ce musicien unique.