Formé en 1973 à San Francisco autour de la paire constituée de l'inamovible Neal Schon et de Gregg Rolie, tous les deux ex Santana, ce qui n'est pas rien et qu'on oublie un peu souvent, Journey livre avec Next son troisième album depuis 1975, glorieuse et - malheureusement - révolue époque où les groupes trouvaient le temps entre deux tournées d'enquiller les disques.
Tout d'abord influencé par le Jazz-rock ambient en vogue dans cette ville californienne, le quatuor se cherche alors encore. Le galop d'essai puis Look Into The Future ont illustré (surtout le premier des deux) que le rock progressif n'était pas non plus pour lui déplaire, au point de se voir parfois même affilié à ce genre. Et si nous sommes encore loin du visage AOR qu'il arborera peu après, lequel coïncidera avec son triomphe commercial la décennie suivante, Next se révèle être une synthèse de ses deux aînés en même temps qu'œuvre charnière. Elle annonce en effet l'évolution future dont témoigne d'une certaine manière le format cette fois-ci plus courts de ses titres, tout en se positionnant quelque part entre le Hard Rock mélodique, le Rock FM balbutiant et le progressif.
Toujours animé, outre le duo cité plus haut, par la section rythmique que bâtissent le bassiste Ross Valory et le mercenaire de la batterie Aynsley Dunbar, Journey commence donc à entamer une timide mue avec cette galette variée, dynamique, et finalement assez méconnue. Pourtant, malgré sa courte durée, qui du reste est conforme au standard de l'époque où le vinyle déterminait la longueur des albums, elle regorge de pépites à (re)découvrir dont le seul défaut tient sans doute dans le fait de manquer encore de personnalité. A leur écoute, on pense là à Supertramp ("Spaceman"), ici à Rainbow ("I Would Find You", dont l'intro rappelle furieusement celle, monumentale, du "Tarot Woman" qui ouvrait Rising, publié l'année précédente).
Qu'importe en fait, les Américains dressent déjà une insolente inspiration digne des plus grands. Superbe instrumental en même temps que la plage la plus progressive du lot, "Nickel And Dime" est incontournable, de même que le titre éponyme, auquel il succède, respiration atmosphérique qui s'emballe par moment et où Gregg Rolie, que Steve Perry ne tardera pas à éclipser, brille de mille feux. Son chant y ruissèle une mélancolie à la fois simple et touchante tandis que Neal Schon nous gratifie d'une intervention lumineuse, gorgée de feeling dont il a le secret. L'énergique "Husler" ou le plus feutré "Here We Are" achèvent quant à eux de faire de Next une (très) bonne pioche au sein de cette longue discographie qui, sans être la plus représentative de ses auteurs, distille un vrai charme.
Il marque enfin la fin d'un chapitre, celui des débuts progressifs, puisque avec son successeur, Infinity, le chanteur et claviériste abandonnera plus ou moins le micro au profit du nouveau venu Steve Perry, avant de se retirer carrément pour être remplacé à partir d'Escape en 1981 par Jonathan Cain. C'est aussi à partir de cette quatrième offrande que Journey fixera sa signature visuelle qui ne le quittera plus vraiment par la suite, symbole de ce tournant artistique.